The Shadowland Tarot (Monica Bodirsky)

Texte et illustrations : Monica Bodirsky
Éditeur : RedFeather Mind, Body, Spirit (Schiffer Publishing)

 

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (Monica Bodirsky)

Présentation

The Shadowland Tarot se présente dans très beau (et solide) coffret contenant le jeu et le livre explicatif. Au premier coup d’œil, les cartes, bien protégées dans l’écrin qui les accueille, sont de bonne facture. Quant au livre, il a lui aussi été produit avec soin : les pages sont entièrement en papier glacé… et en couleur, ce qui en fait un bel objet.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (vue d'ensemble)

Le coffret en lui-même est réalisé dans un carton solide et épais, dont la fermeture est aimantée. D’après le sens de l’illustration de couverture, il s’ouvre à la manière d’une malle ou d’un coffre au trésor, ce qui plonge l’utilisateur dans l’atmosphère empreinte de mystère dans laquelle il s’apprête à pénétrer en l’ouvrant.

Au dos du coffret se trouve un texte de présentation du jeu. Celui-ci met en relief l’angle particulier qu’il adopte par rapport à d’autres tarots, et l’on sait d’ores et déjà que l’on se prépare à explorer nos propres ténèbres, notre propre obscurité, mais non sans une bonne dose d’humour si l’on en croit les petits personnages qui ornent l’ensemble !

D’emblée, il est intéressant de noter que bien que le jeu s’intitule The Shadowland Tarot et promet une plongée dans l’obscurité personnelle de l’utilisateur, les couleurs du coffret sont néanmoins plutôt vives. Ainsi, le jaune domine les tranches de la boîte, tandis que les aperçus d’illustrations que l’on trouve sur la couverture du coffret et la tranche avant sont très colorées, suggérant ainsi que l’obscurité réelle (celle que l’on va explorer, en tout cas) n’est peut-être pas aussi sombre qu’on pourrait l’imaginer de prime abord et réserve bien des surprises à qui aura le courage de s’y confronter !

Les cartes

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - dos de carteElles sont d’excellente qualité. Épaisses et solides, elles permettent une utilisation fréquente du jeu sans craindre de l’abîmer à la moindre manipulation (à condition, cela va sans dire, de rester soigneux comme avec n’importe quel jeu !), ce qui est fort appréciable.

L’impression est quant à elle là aussi de très bonne qualité. Un grand soin a été apporté à mettre chacune des soixante-dix-huit œuvres d’art en valeur, notamment au niveau des couleurs dont l’éclat est saisissant. Le dynamisme visuel qui en résulte fait ressortir la lumière que l’on trouve au sein de l’ombre si l’on se plonge dans celle-ci afin de l’explorer. Voilà d’emblée une belle invitation au voyage et à la découverte de ces richesses qui nous attendent ! On observe également que la tranche des cartes est dorée, ce qui renforce encore davantage cette idée puisque le jeu en devient encore plus lumineux. On comprend ainsi que ce tarot, en plus d’éveiller la curiosité, réconcilie ombre et lumière en les équilibrant et en montrant que l’une et l’autre sont interdépendantes et ne peuvent donc exister l’une sans l’autre. Dès le premier regard porté sur ce jeu, le ton est donné, et l’atmosphère installée !

Afin de faire davantage connaissance avec ce jeu haut en couleurs, j’ai choisi d’en explorer trois aspects qui donneront un aperçu assez complet de ce que l’on peut y trouver. Dans un premier temps, je me pencherai sur la manière dont la tradition Waite a été réécrite par Monica Bodirsky pour s’harmoniser avec l’univers qu’elle dévoile, puis j’insisterai sur les représentations des monstres qui peuplent cet univers riche en surprises. Enfin, j’explorerai quelques exemples reflétant l’humour particulier qui caractérise ce jeu car il contribue à en construire l’atmosphère singulière.

 

Une réécriture ingénieuse

Lorsqu’on observe le jeu d’un peu plus près, on se rend compte que sa structure, ainsi que le langage symbolique porté par les cartes, sont ceux du Rider-Waite Smith Tarot. Ce tarot est donc rattaché à cette tradition divinatoire, dont il reprend les principaux codes structurels et visuels. Ainsi, The Shadowland Tarot est facilement accessible à quiconque est habitué au modèle Rider-Waite Smith.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (20. Discretion)Tout d’abord, la structure du jeu est semblable au Rider-Waite Smith Tarot, tant dans l’ordre des lames majeures que dans les différentes suites mineures qui conservent chacune leur nom initial. La seule modification notable se trouve au niveau d’une lame majeure qui a été renommée. Ainsi, pour les besoins de ce jeu, le Jugement (lame XX) devient « Discretion » (i.e. la Discrétion). Ce changement n’est bien sûr pas gratuit car il s’inscrit dans le cadre d’une ingénieuse réécriture qui consiste ici à transporter la tradition Waite dans l’univers propre au Shadowland Tarot : un monde peuplé de monstres, propice à l’exploration profonde et à la recherche de soi, dans lequel les notions véhiculées et sous-entendues par le Jugement dans sa forme originelle trouvent difficilement leur place. Renommer cette lame apparaît dès lors tout à fait approprié, et cela a été fait avec une grande subtilité !

Côté langage symbolique, la réécriture est très riche… et, là encore, particulièrement bien sentie ! Afin d’être au plus près de ce monde d’ombre dans lequel se côtoient monstres et créatures (gentiment) effrayantes, Monica Bodirsky a habilement transposé la symbolique du Waite pour l’emmener dans l’univers qu’elle dépeint et en mettre en valeur les particularités.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (0. Seeker)Par exemple, elle n’hésite pas à renommer certaines lames majeures. Comme on l’a vu plus haut, le Jugement (lame XX) devient la Discrétion. L’autre majeure à connaître le même type de modification est le Fou (0), qui devient « Seeker » (i.e. celui qui cherche). Ce changement de nom n’est pas anodin car il met en relief un aspect du Fou que l’on a tendance parfois à oublier : celui-ci est en premier lieu et dans sa signification profonde un pèlerin, c’est à dire quelqu’un qui voyage à pied et parcourt ainsi un chemin initiatique afin de grandir, de gagner en maturité et d’acquérir une meilleure expérience de la vie. Le Fou du tarot cherche à mieux connaître le Monde que son parcours, incarné par les vingt-et-une autres lames majeures, l’amène à découvrir et à éprouver de manière complète et profonde. Lorsqu’il se met en chemin, son bagage est maigre et il est on ne plus inexpérimenté, ce que dépeint non sans humour la créatrice du jeu : s’il est présenté se tenant bien droit au bord d’un précipice, un sac de voyage à la main, on remarque que sa tête n’est pas sur ses épaules mais gît à côté de lui sur le sol. Voilà une très jolie façon de montrer l’inexpérience du personnage qui, comme le Fou originel, aurait donc tendance à manquer de discernement, voire à ne pas se servir de sa capacité à raisonner et à réfléchir, n’écoutant que son insouciance !

On remarque également que la tête du personnage se trouve là où devrait se tenir le chien qui retient le Fou dans la tradition Waite. Ce détail est intéressant car il suggère que le mental et la raison du personnage pourraient être un frein à sa découverte du chemin qu’il s’apprête à parcourir. Laisser ainsi sa tête derrière lui permettrait donc d’aborder ce qu’il s’apprête à vivre sans se poser trop de questions et à prendre les choses et à envisager les personnages tels qu’ils sont, en laissant son jugement et ses a priori derrière lui. Si cette tête détachée du corps l’invite à mettre en sommeil l’aspect mental, le chat qu’il tient par ailleurs dans sa main tendue au-dessus du vide l’invite quant à lui à avancer vers ce monde d’ombres et à l’explorer, comme s’il allait être son guide, lui qui connaît bien cet univers et qui fait le lien entre le plan que quitte le Fou et celui vers lequel il s’avance.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (08. Strength)La Force (8) est elle aussi intéressante car elle explore les aspects de la lame originelle de manière quelque peu différente tout en faisant ressortir le lien constant à l’univers des monstres présenté dans ce jeu. Ainsi, au lieu de dépeindre la traditionnelle jeune femme qui dompte un lion tout en douceur, on voit sur cette lame un personnage dont le corps est double. En effet, il s’agit d’une créature à deux têtes, mi-monstre mi-jeune fille, qui tient dans la main gauche (côté monstre) un haltère et dans la main droite (côté jeune fille) un chat. Cette dualité est prolongée dans la morphologie de cet être singulier puisqu’on voit que les membres supérieurs et inférieurs sont bien à droite ceux de la jeune fille, et à gauche ceux du monstre. La main et la jambe de la jeune fille sont fines et son pied de taille normale, chaussé d’une bottine rouge, tandis que la main et la jambe du monstre sont épaisses, disgracieuses, et son pied nu apparaît comme gigantesque comparé à celui de la jeune fille, sans compter ses orteils dont la longueur disproportionnée les fait ressembler à des racines.

Cet être à deux têtes, deux corps et, en apparence, deux facettes incarne l’archétype de la Force à la perfection puisque tout l’objet de cette lame est de parvenir à faire preuve d’une grande force intérieure de manière à faire cohabiter en soi ses instincts animaux et sa capacité à rester calme, la seconde domptant et apaisant les premiers. Ici, on remarque que le monstre, qui représente les instincts et la face sombre de l’individu, n’est pas particulièrement en colère ou menaçant. Au contraire, il arbore un large sourire, toutes dents dehors, et semble calme et serein. Comme la jeune fille, il est coiffé de fleurs qui ne pourraient pas y tenir s’il était agité. De même, on observe également que près de lui pousse une unique fleur. Celle-ci, isolée, paraît fragile à côté de cet imposant personnage qui pourrait aisément la piétiner. Pourtant, elle se tient bien droite et s’épanouit près de lui, ce qui confirme le caractère inoffensif de la créature puisque malgré son grand pied, le monstre a pris soin de faire attention à ne pas abîmer ce cadeau de la nature.

La jeune fille qui cohabite avec le monstre dans ce corps ressemble fortement au personnage que l’on retrouve à plusieurs reprises dans ce jeu, notamment sur certaines lames majeures (la Grande Prêtresse, l’Impératrice, la Lune, le Monde). Coiffée d’une couronne de fleurs qui rappelle celle de la jeune fille de la lame originelle, elle porte également de longs cheveux noirs. Il est intéressant de remarquer que contrairement au monstre, elle n’a pas de bouche, ce qui laisse entendre qu’elle n’a pas besoin d’avoir recours à la communication verbale pour dompter avec douceur son siamois. Bien qu’elle soit frêle par rapport à lui et qu’elle ne s’exprime pas oralement, elle a en elle toute la force nécessaire pour contenir les instincts de la créature à laquelle elle liée. Cette force douce mais néanmoins affirmée est mise en relief par la présence du chat qu’elle tient dans sa main car ce dernier est lui aussi calme et apaisé, ce qui serait impossible si la jeune fille utilisait une force contraignante !

Comme on le constate à travers ces quelques éléments, la Force dépeinte dans The Shadowland Tarot reprend les principaux aspects de la Force de la tradition Waite originelle en les illustrant de manière différente. Ainsi, ils ressortent sous une autre forme, ce qui permet de leur donner une nouvelle profondeur qui ne manquera pas de faire réfléchir à la fois l’interprète et le consultant !

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (12. The Hanged Man)L’angle choisi pour le Pendu (12) peut prêter à sourire tant il semble évident, mais il est là encore le fruit d’une approche astucieuse de la part de l’artiste. En effet, quelle créature, dans le royaume de l’ombre, a systématiquement la tête en bas lorsqu’elle interrompt ses activités ? La chauve-souris, bien sûr ! C’est donc tout naturellement que le Pendu dépeint ici une chauve-souris attendrissante, emmitouflée dans ses ailes, suspendue à la branche de l’arbre qui remplace l’habituelle potence.

Voilà une scène qui peut paraître simpliste si l’on ne s’y intéresse pas de plus près. Ici, les détails sont particulièrement importants et méritent d’être considérés comme un ensemble plutôt que séparément si l’on veut saisir toute la profondeur de la lame. Si l’on se concentre d’abord sur la chauve-souris en elle-même, on remarque que bien qu’elle soit en position de repos physique (i.e. suspendue la tête en bas), il n’en est peut-être pas de même sur le plan intérieur. En effet, les yeux de l’animal sont grands ouverts, montrant que la chauve-souris est bien éveillée. On comprend par conséquent que si elle est inactive physiquement, elle est en revanche en pleine réflexion !

Par ailleurs, cet état introspectif semble s’inscrire dans la durée si l’on en juge la posture de l’animal puisque celui-ci prend soin de se protéger de l’extérieur en s’enveloppant soigneusement dans ses grandes ailes. Ainsi, il est à l’abri des variations que pourrait connaître son environnement et qui risqueraient de le perturber dans sa démarche introspective. L’enroulement de la chauve-souris dans ses ailes est particulièrement intéressant car on pourrait croire que cette position entrave ses mouvements, un peu à la manière d’une camisole de force, ce qui rappelle les liens qui maintiennent le Pendu de la tradition Waite prisonnier et l’empêchent de reprendre sa route. Or, ici, il s’agit des ailes de la chauve-souris et non d’un élément extérieur à celle-ci. Ses ailes sont des membres qu’elle contrôle. Par conséquent, on comprend que la chauve-souris choisit de se suspendre à l’arbre et d’y rester autant de temps qu’il lui sera nécessaire pour mener à bien son introspection, contrairement au Pendu de la tradition Waite, qui est contraint et forcé à l’arrêt.

Si l’on s’intéresse à l’environnement de la chauve-souris, on remarque que l’arbre auquel elle est accrochée est vivant, comme en témoignent les feuilles vertes qui y poussent. Voilà qui indique que l’introspection menée par l’animal est fertile et constructive puisqu’elle nourrit l’arbre et se nourrit de lui en retour. Le paysage qui accueille cette scène est quant à lui dépourvu de végétation ou de reliefs particuliers. Principalement gris et peu engageant, il ne présente aucun signe de fertilité particulier, à la différence de l’arbre que l’on vient d’examiner. Ceci suggère que les réponses que cherche la chauve-souris à travers son introspection viendront d’elles-mêmes car elles sont en elle, comme le laissent entendre les signes de fertilité présents sur l’arbre qui incarnent le prolongement, la concrétisation de la réflexion menée par l’animal. Le Pendu décrit bien ici l’importance de l’exploration intérieure et la puissance des bénéfices que l’on peut en tirer.

Aussi, cette lame qui au départ peut sembler simplement amusante ou un peu trop évidente dans le choix de la chauve-souris pour dépeindre un archétype qui se présente la tête en bas révèle toute sa profondeur à mesure que l’on en décrypte les détails. Elle s’avère d’une grande subtilité et enrichit de manière non négligeable la figure initiale tout en l’adaptant parfaitement à l’approche déployée dans le jeu.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (13. Death)La Mort (13) se présente sous des traits de prime abord surprenants, mais qui prennent tout leur sens en y regardant de plus près. Si l’on se concentre sur le personnage principal qui se tient au centre de la lame, on remarque d’emblée que celui-ci ressemble à s’y méprendre à ce que l’on appelle un docteur de la peste ou un médecin de la peste (plague doctor, en anglais). Durant les épidémies de peste bubonique qui ont marqué l’Europe au XVIIe siècle, les médecins qui se confrontaient à la maladie revêtaient des costumes particuliers qui devaient, pensait-on, les protéger des miasmes et de la contagion (voir gravure ci-dessous). Ainsi, ils portaient un masque à bec de corbeau, lequel était rempli d’un cocktail principalement composé d’herbes médicinales. Lorsqu’ils respiraient ce mélange, celui-ci était censé les empêcher de contracter la maladie. De la même manière, les vêtements qu’ils portaient isolaient la peau de l’air ambiant, prévenant ainsi le contact avec cette bactérie extrêmement contagieuse.

Le Chaudron de Morrigann: Der Doctor Schnabel von Rom (Paul Fürst, circa 1656)Or, si l’on regarde la créature dépeinte sur la lame, la ressemblance est indéniable : on retrouve parmi ses attributs ce qui peut être un masque de corbeau, mais aussi un long manteau noir. Sous celui-ci, le personnage porte un pantalon serré et des chaussures fermées, qui font également écho à la tenue des médecins de la peste à travers la protection qu’ils sont supposés apporter à la peau. Seules ses mains ne sont pas couvertes mais qu’importe, puisque ce sont celles d’un squelette et qu’étant dépourvues de peau, une protection leur serait superflue. Toutefois, les doigts élancés du personnage de la carte ne sont pas sans rappeler les mains gantées des médecins de la peste, ce qui renforce le parallèle.

Cependant, à la différence des médecins de la peste, ce n’est pas un chapeau qui coiffe la tête du personnage de la carte, mais un nid d’oiseau. Voilà qui contraste avec l’apparence générale de cette figure qui, comme on vient de le voir, renvoie à l’idée de la mort dans chacun des éléments qui la composent. En effet, le nid qui couronne le personnage est rempli d’œufs, qui sont un symbole de fertilité et de renaissance. Par ailleurs, cet aspect est développé plus amplement à travers le gros œuf éclos que tient la créature dans ses mains jointes puisque ce dernier révèle un personnage qui ressemble fortement au Fou en miniature ! L’autre moitié de sa coquille, désormais inutile, gît sur le sol près du grand corbeau.

Il est très intéressant de voir cohabiter deux notions a priori irréconciliables en ce même personnage à travers des éléments se référant à la mort d’une part et d’autres faisant écho à la vie et à la naissance d’autre part. Or, la réunion de ces deux aspects en réalité complémentaires est au cœur de la lame appelée la Mort dans le tarot, quelle que soit la tradition à laquelle on se fie. Si quelque chose se termine d’un côté, c’est pour mieux laisser place au renouveau, à quelque chose de plus jeune et de plus vigoureux qui pourra grandir, évoluer et gagner en force. On se trouve alors dans une dynamique de continuité et d’éternel renouveau, qui n’est autre que le cycle de la vie et au-delà, le cycle de l’existence. Ici aussi, la Mort porte en elle la vie, ce qui en fait une lame de renouveau, de transformation et d’espoir.

Le paysage désertique dans lequel se trouve le personnage est à son image puisqu’il rassemble lui aussi des éléments pointant pour certains vers la mort et pour d’autres vers la vie, voire vers les deux en même temps. Par exemple, l’ensemble du décor est aride, et sur le sol gisent d’un côté du personnage des os que l’on identifie comme un crâne humain et deux autres os croisés derrière celui-ci, à l’image du pictogramme représentant habituellement du poison. De l’autre côté du corbeau se trouve la moitié supérieure de la coquille de l’œuf dans lequel le Fou renaît, tombée à terre une fois celui-ci éclos. Cette dernière symbolise bien sûr la vie à peine née, qui contraste avec le tas d’os auquel on vient de faire allusion. En outre, on observe que chacun de ces éléments est disposé de part et d’autre du personnage, comme les deux plateaux d’une balance qui équilibreraient les énergies dépeintes ici.

Dans le prolongement de cette idée, il est également intéressant de porter une attention particulière aux arbres que l’on voit en arrière-plan. Si ceux-ci apparaissent décharnés, comme cuits par la chaleur infernale du désert, leurs branches ont quant à elles des formes singulières puisqu’elles ressemblent fortement à des flammes très élancées. Cette métaphore est d’ailleurs renforcée par la couleur des arbres qui rappelle celle du feu et de la lumière. Ces arbres, morts en apparence, portent eux aussi la vie, quoique symboliquement, et rappellent l’Arbre de Vie que l’on trouve habituellement près d’Adam sur la carte des Amants (VI) dans le Rider-Waite Smith Tarot original. Le feu est alors ici celui qui donne l’étincelle de la vie.

Enfin, à l’horizon se couche ou se lève le soleil. Là encore, compte tenu de ce qui a été observé quant à l’ensemble de la scène, on comprend que celui-ci peut apporter la chaleur et la lumière nécessaires à la vie tout comme il peut se révéler insoutenable et dangereux selon son intensité. Lui aussi peut ainsi véhiculer à la fois la vie et la mort. En outre, il est impossible de savoir s’il se lève ou s’il se couche. Il incarne ainsi à la perfection le cycle de l’existence, selon lequel un nouveau départ (par exemple une nouvelle vie) succède toujours à une fin (la mort).

L’ensemble de ces éléments donne encore une fois une nouvelle dimension à l’archétype original que l’on trouve dans la tradition Waite. Cette représentation là aussi très subtile s’adapte parfaitement à l’univers dans lequel on plonge en déroulant la métaphore du médecin de la peste, réinventant ainsi à la fois la vision funeste que l’on en a, et celle de l’archétype de départ.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot (Eventail de lames mineures)

Les lames majeures ne sont pas les seules à connaître une réécriture astucieuse pour s’adapter à l’univers que l’on explore à travers The Shadowland Tarot. En effet, les mineures dépeignent les saynètes traditionnelles dans l’esprit Shadowland, c’est-à-dire en utilisant les codes propres à ce monde, et le résultat est saisissant. Il n’est bien sûr pas possible de donner un aperçu de chaque carte ici, c’est pourquoi j’en ai choisi trois qui me paraissent particulièrement intéressantes.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Two of Swords (Deux d'Epées)La première est le Deux d’Épées. Ce que l’on y voit reproduit à un détail près la scène dépeinte sur le Deux d’Épées du Rider-Waite Smith Tarot traditionnel. Au centre de la lame se tient un vampire, debout, bien ancré sur ses deux pieds. Ses grandes ailes de chauve-souris sont déployées de part et d’autre de son dos, et ses bras sont croisés contre lui de sorte que ses mains dont chacune tient une épée s’appuient sur ses épaules. Un bandeau noir couvre ses yeux. Le décor est lui aussi très similaire à celui de la lame du Rider-Waite Smith Tarot original : le personnage se trouve sur du sable, devant une étendue d’eau (probablement la mer). À l’horizon, on distingue au-delà l’eau des rochers sombres qui s’étendent sur toute la largeur qu’il nous est donné de voir. Dans le ciel nocturne est suspendu le croissant de lune qui apparaît derrière les nuages.

Cette lame est un exemple d’une réécriture particulièrement réussie car on y retrouve les principales notions déjà véhiculées par la lame originelle. L’équilibre est illustré à travers un personnage bien ancré (ici sur ses deux pieds, dans le Waite assis de façon bien stable sur un banc en pierre) et dont la posture garantit une grande stabilité. En effet, les épées qui s’appuient sur ses épaules répartissent leur poids de façon homogène ; par ailleurs, ses ailes déployées lui assurent une sécurité supplémentaire puisque non seulement elles équilibrent sa silhouette à travers la symétrie qu’elles contribuent à créer, mais elles peuvent également le rattraper s’il venait à trébucher et prévenir ainsi sa chute.

L’intériorité et la recherche au plus profond de soi apparaissent également sur cette lame : il fait nuit, ce qui invite au calme, à la réflexion et à l’expression de notre monde intérieur, et le personnage se trouve près de l’eau, qui n’est autre qu’un symbole de son activité mentale et de sa réflexion. En outre, la lune, qui commande aux marées, renvoie elle aussi à l’idée de l’inconscient et du mental. L’être qui se tient dans ce décor est la créature de la nuit par excellence puisqu’il ne peut aller et venir librement la journée. Il s’intègre donc parfaitement à ce paysage paisible qui lui permet de se plonger en lui-même comme le suggère le bandeau qu’il porte sur les yeux. Ainsi, il est obligé d’être plus vigilant à ce qu’il ressent, à la fois émotionnellement et physiquement, et par conséquent à appréhender son environnement avec une plus grande conscience, comme peuvent le laisser penser les épées dont il doit trouver le bon point d’équilibre s’il veut les maintenir avec stabilité.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Nine of Swords (Neuf d'Epées)S’il est une lame qui incarne dès le premier coup d’œil les principales notions véhiculées par sa cousine du Rider-Waite Smith Tarot, c’est bien le Neuf d’Épées ! En effet, quoi de mieux – ou de pire ! – que des araignées suspendues au-dessus du lit dans lequel on essaie de dormir pour illustrer la peur et les terreurs nocturnes ? Ici, les neuf épées habituelles ont été remplacées par des araignées qui, accrochées à leurs fils, descendent vers le personnage qui, bien qu’allongé dans son lit, ne parvient pas à dormir. Les arachnides font froid dans le dos : non seulement elles paraissent énormes par rapport à l’aspirant dormeur, mais elles arborent des dents particulièrement acérées ainsi qu’un corps poilu et des pattes crochues. Il est d’ailleurs très intéressant de remarquer que si ces araignées sont au nombre de neuf comme les épées de la lame originelle, elles ne sont pas le seul élément à rappeler ces dernières puisqu’elles ont également neuf dents, comme on le voit sur la plus grosse d’entre elles. On remarque d’ailleurs que les dents ont une forme qui évoque subtilement des épées pointues, fines et très tranchantes.

En-dessous de ces araignées menaçantes se trouve un lit dans lequel est allongé un personnage qui ne parvient pas à trouver le sommeil. Emmitouflé dans sa couverture, celui-ci a l’air inquiet et effrayé comme on peut le voir à ses grands yeux écarquillés et à sa moue peu rassurée. Sa main droite dépasse de la couverture, apparemment pour mieux s’agripper à elle et éviter ainsi le contact direct avec les créatures à huit pattes qui l’assaillent. On note également que le lit semble assez inconfortable. Difficile de trouver le repos dans ces conditions ! Au pied du lit, un chat noir s’agite, visiblement apeuré si l’on en juge par ses yeux grands ouverts et brillants et son langage corporel.

Enfin, il est très intéressant d’observer le jeu des proportions dans la composition de l’illustration. En effet, les araignées occupent près des deux tiers de l’espace supérieur tandis que le personnage qui ne trouve pas le sommeil, l’aperçu de sa chambre et son chat n’occupent quant à eux que le dernier tiers environ. Voilà qui matérialise de manière très concrète l’oppression, la sensation d’écrasement et de surmenage qui s’empare du personnage et qui se manifeste sous la forme d’un immense stress, de peurs (réelles ou imaginaires) voire de phobies, et de terreurs nocturnes. Là encore, la manière dont les éléments originels de la lame sont adaptés à l’univers du Shadowland Tarot offre une représentation subtile de ses significations, des plus évidentes aux plus profondes.

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Ten of Swords (Dix d'Epées)Enfin, le Dix d’Épées est lui aussi une réécriture très intéressante de la lame originelle. Ici encore, il est difficile d’imaginer meilleure illustration qu’une poupée vaudoue pour représenter le personnage cloué au sol par les dix épées qui lui transpercent le dos ! Sur le Dix d’Épées du Rider-Waite Smith Tarot, l’homme qui est couché sur le ventre est anéanti par les épées qui l’empêchent de bouger et pour l’instant, il lui est impossible de se relever. Bien sûr, le résultat aurait pu être le même s’il y avait eu moins d’épées mais en plus de la souffrance, leur grand nombre suggère une forme d’exagération, de dramatisation et de théâtralisation de la situation dans tout ce qu’elle a de plus désespéré en apparence. Cet aspect exagérément tragique peut même prêter à sourire tant il semble démesuré.

La poupée vaudoue que l’on rencontre dans The Shadowland Tarot partage un certain nombre de points communs avec la silhouette terrassée qui vient d’être décrite. Le premier d’entre eux est bien sûr d’être transpercée à dix reprises non par des épées cette fois, mais par des épingles, comme on le fait habituellement avec les dagydes pour infliger des souffrances à un tiers à distance. On remarque d’ailleurs que des plaies causées par les épingles s’écoule du sang, rappelant ainsi que la victime de l’envoûtement est bien humaine. Il est également intéressant d’observer qu’à la différence de ce que l’on voit sur le Dix d’Épées du Rider-Waite Smith Tarot, la poupée n’est pas étendue sur le ventre. Au contraire, celle-ci est avachie entre le sol et le mur qui se trouve derrière elle, comme si on l’avait jetée là négligemment une fois les épingles plantées dans son torse et ses bras. Comme son cousin du Waite, elle semble anéantie, vidée de ses forces et sous l’emprise d’une immense douleur, incapable de bouger. L’apparente mollesse de son corps évoquée par sa posture fait écho là encore au personnage du Waite qui, tel une poupée de chiffon, est privé de sa tonicité et de sa capacité à effectuer quelque mouvement que ce soit.

Le choix de la poupée vaudoue pour incarner les principales notions véhiculées par le Dix d’Épées apparaît comme un choix judicieux, non dénué d’un certain humour dans le regard qu’il porte sur la lame originale. Encore une fois, on a là une réécriture particulièrement subtile et bien inspirée !

 

Un tendre hommage aux monstres

Si The Shadowland Tarot est une porte vers le monde de l’ombre et tout ce qui le compose, il est également un merveilleux hommage à la tradition des monstres. Cette dernière est d’ailleurs représentée sur un grand nombre de lames, à la fois parmi les majeures et dans toutes les suites mineures, comme on peut le voir dans l’éventail ci-dessous :

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Un tendre hommage aux monstres

Dans le livre accompagnateur, Monica Bodirsky évoque son amour des monstres que l’on trouve en particulier au cinéma. Son tarot les dépeint avec une grande tendresse et une douceur que seule une personne qui s’intéresse de très près à ces créatures et les comprend peut manifester. Voilà qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres cinématographiques, anciennes ou plus récentes, car le regard porté sur les monstres dans The Shadowland Tarot les humanise et provoque nécessairement des réflexions quant à leur nature et ce qu’ils sont réellement si l’on dépasse l’appréhension que peut susciter leur apparence souvent peu engageante.

Cette grande sensibilité fait écho à ce que l’on retrouve par exemple dans des classiques du cinéma tels que le magnifique Freaks de Tod Browning, où le terme « monstre » ne désigne sans doute pas ceux que l’on croit. Si l’on observe les lames, on constate un certain nombre de références à peine masquées aux monstres du cinéma, qu’ils soient issus des films des studios Universal et de la Hammer ou de l’imagination fertile de réalisateurs comme Tim Burton et Guillermo del Toro pour ne citer qu’eux.

Ainsi, on retrouve des allusions aux monstres des studios Universal à plusieurs reprises, notamment à travers la présence de momies (par exemple : Huit de Coupes, Deux de Pentacles) ou d’une créature ressemblant fortement au monstre du marais (Cinq de Coupes). Les amateurs de films d’horreur et d’épouvante observeront également des références plus discrètes à travers des lames qui, par leur composition, rappellent des scènes marquantes appartenant à des classiques bien connus. C’est le cas par exemple des Amants (VI), qui montrent l’imposant fantôme anthropomorphe d’un arbre offrir un ballon en forme de cœur au frêle petit fantôme blanc qui flotte face à lui. La force de la nature incarnée par le fantôme de l’arbre peut faire penser à la créature de Frankenstein qui, dans le film éponyme de 1931 avec Boris Karloff, offre une fleur à une fillette en signe d’affection et d’attendrissement.

Les vampires sont eux aussi largement représentés dans ce jeu. Après tout, ne sont-ils pas les princes des ténèbres, comme le suggère l’un des films avec Christopher Lee produit par la Hammer ? On les trouve par exemple sur le Deux d’Épées et le Six de Pentacles. Ce dernier offre d’ailleurs une scène attendrissante car accompagné de deux personnages plus petits (un fantôme et un petit être qui ressemble fortement au Fou), il tend des cadeaux à la famille de fantômes qui se tient devant lui, faisant ainsi preuve d’une générosité surprenante pour quelqu’un comme lui dont la principale qualité n’est certainement pas la sociabilité.

L’atmosphère générale qui règne dans The Shadowland Tarot évoque un monde mystérieux, poétique et même onirique, où les rencontres peuvent se révéler aussi merveilleuses que terribles, à l’image de ce que l’on retrouve dans les univers développés par certains réalisateurs comme Tim Burton et Guillermo del Toro. Par exemple, les créatures singulières qui apparaissent sur le Cinq de Bâtons, avec leur corne sur le front et leur corps qui ne ressemble à aucun être connu, semblent tout droit sorties de l’un des contes de Guillermo del Toro, tandis que bon nombre de personnages que l’on croise dans le jeu pourraient tout à fait rejoindre ceux imaginés, dessinés et mis en scène par Tim Burton.

La Lune (XVIII) en est un bon exemple car non seulement elle dépeint une vision onirique qui rappelle l’esprit du réalisateur, mais le personnage féminin qui tient une écrevisse en laisse sur un chemin jaune aurait parfaitement sa place dans l’univers burtonien. De la même manière, cette scène illustre un thème cher à Burton puisqu’elle évoque une amitié improbable comme on en voit souvent dans ses œuvres. Ici, la jeune fille et l’écrevisse semblent avoir établi une relation paisible car bien qu’elle soit tenue en laisse, l’écrevisse ne paraît pas suivre la jeune fille sous la contrainte. Bien sûr, si l’on connaît la symbolique de la lame originelle, on sait que l’écrevisse qui émerge du plan d’eau incarne les choses jusqu’alors profondément ancrées en le consultant (elles appartiennent à l’inconscient) et qui remontent à la surface (et donc à sa conscience). Ici, l’écrevisse apparaît par conséquent comme un prolongement de la jeune fille ce qui, encore une fois, rappelle certains thèmes explorés par Tim Burton.

En outre, cette lame peut aussi évoquer un classique de la littérature adapté au cinéma car la disposition des différents éléments et les couleurs utilisées rappellent Le Magicien d’Oz. En effet, la jeune fille aux souliers rouges, accompagnée de l’écrevisse qui tient la position de l’animal de compagnie, évolue sur un chemin jaune dont on ne voit pas la fin. On peut y voir une référence à Dorothy qui, sous les traits de Judy Garland, porte des souliers rouges et est accompagnée de son fidèle chien Toto pour se rendre à la Cité d’Émeraude en suivant la Route de Briques Jaunes.

Enfin, le légendaire Sasquatch (l’homme des montagnes canadien, que l’on appelle également Big Foot) fait une apparition remarquée sur le Cinq de Pentacles. Encore une fois, le « monstre » (i.e. l’exclu, ici) est présenté sous un angle empreint d’une grande tendresse et d’une empathie certaine. Les deux tiers supérieurs de la lame sont occupés par un groupe d’humains campant dans la forêt. Ceux-ci partagent un repas dans une bonne humeur certaine. Le campement est établi au bord d’un plan d’eau de l’autre côté duquel se tient le Sasquatch, lequel regarde vers les campeurs. Le grand primate se fait discret et se tient à bonne distance des humains car il ne veut pas être vu, lui qui n’appartient pas à leur groupe, que ce soit socialement ou par nature. À travers sa posture, on devine que le Sasquatch éprouve une certaine envie, voire de la tristesse en regardant cette scène puisqu’il ne peut y prendre part. Voilà qui illustre parfaitement et avec beaucoup de subtilité les notions véhiculées par la lame originelle !

Comme on peut le voir à travers ces éléments, les amateurs de monstres trouveront en The Shadowland Tarot un outil idéal. En effet, ceux que l’on y rencontre sont dépeints avec une grande sensibilité, ce qui encourage vivement à travailler avec eux !

 

Un humour décapant

Comme les films dont il s’inspire en partie, The Shadowland Tarot comporte une bonne dose d’humour. Il s’agit certes d’un humour quelque peu décalé, mais il est propre au monde que l’on explore dans ce jeu. Aussi, il est représentatif des situations cocasses qui peuvent arriver aux différents types de monstres et de créatures que l’on y rencontre, comme on peut le voir sur les quelques exemples présents dans l’éventail ci-dessous :

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Un humour décapant

Cet échantillon ne donne bien sûr qu’un aperçu succinct mais l’œil averti saura repérer les éléments et situations humoristiques dans l’ensemble du jeu. Ici, je me suis concentrée sur quatre lames qui à mon sens donnent une bonne idée de ce à quoi on peut s’attendre.

L’aurige conduisant le Chariot (VII) prend des allures impériales voire triomphales tant ce qu’il a accompli lui semble grandiose. En effet, il se tient droit comme un i, le bras droit levé vers le ciel, une baguette à la main, et tient dans la main gauche les guides qui lui permettent de diriger les deux araignées qui remplacent ici les sphinx d’origine. On remarque d’ailleurs que le personnage a un pied posé sur chaque arachnide, ce qui peut faire craindre pour sa stabilité. La mise en scène de cette lame est intéressante car elle peut être lue de plusieurs manières différentes. Il est possible d’une part d’y voir la domination exercée par l’aurige et, par extension, sa victoire incontestable sur le plan terrestre en général, mais il est également possible de considérer cette scène à une autre échelle, plus personnelle cette fois : le personnage peut tout simplement avoir la sensation d’avoir accompli un exploit pour avoir réussi à dompter les deux araignées sur lesquelles il est perché. Ainsi, on peut y voir l’immense satisfaction d’avoir dominé ses peurs, bien que celle-ci reste précaire car si l’on n’y prête pas attention, on a vite fait de se retrouver par terre !

Le Quatre de Bâtons bénéficie lui aussi d’une réécriture amusante. Au bout de la route sur laquelle on se trouve, on aperçoit un joli château qui paraît accueillant. Pour s’y rendre, il faut passer sous la traditionnelle porte composée des quatre Bâtons de la lame que relie une guirlande. Or, c’est là que l’on observe la principale différence avec la carte du Rider-Waite Smith Tarot d’origine : si la guirlande que l’on y voit est faite de fleurs et semble souhaiter la bienvenue au visiteur (qui est d’ailleurs salué par des silhouettes se tenant un peu plus loin), dans The Shadowland Tarot, les fleurs deviennent des toiles d’araignées, et les hôtes souriants prennent les traits… d’araignées ! Posées sur leurs toiles qui font office de guirlandes, ces dernières arborent un large sourire. Pourtant, bien qu’elles soient d’humeur festive, il n’est pas certain que celle-ci soit communicative et contamine le visiteur qui pourrait prendre leur sourire aux belles dents pointues pour un rictus carnassier. Par sûr, dans ce cas, que le visiteur en question soit très enthousiaste à l’idée de les avoir au-dessus de la tête alors qu’il traverse cette porte… si tant est qu’il décide de le faire !

Le squelette dépeint sur le Quatre d’Épées pourrait tout à fait être un pirate qui aurait oublié de se réveiller et serait resté dans son hamac pour une très longue sieste. Négligemment allongé dans un hamac élaboré à partir de ce qui ressemble à un filet de pêche accroché à quatre épées plantées dans le sol dont la garde rappelle celle des sabres de pirates, le squelette se repose au bord d’une rivière à l’horizon de laquelle le soleil se lève ou se couche entre deux montagnes. La position du squelette suggère une totale décontraction comme si celui-ci, épuisé, récupérait après un effort long et intense. La rive sur laquelle se trouve le dormeur est si déserte qu’elle rappelle les plages des îles sur lesquelles accostent les pirates traditionnellement. Cette idée est reprise à travers la présence du soleil qui, s’il irradie l’ensemble de la scène et y apporte son lot de couleurs, se montre si chaleureux que le crâne de l’endormi est protégé par un bandage qui, en plus de suggérer une ancienne blessure, peut le protéger des rayons de l’astre et d’une éventuelle insolation.

Si d’ordinaire les momies ont une démarche mal assurée, celle présentée sur le Deux de Pentacles est en bien mauvaise posture ! Dans un paysage égyptien où l’on voit au loin dans le désert des chameaux et une pyramide, une momie se tient tant bien que mal sur un pied, en équilibre sur une pièce de monnaie posée sur la tranche, sur laquelle on observe le profil d’un pharaon. Dans sa main gauche, la créature tient une autre pièce, côté pile cette fois, sur laquelle on distingue un ibis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation de la pauvre momie est loin d’être enviable ! Celle-ci semble bien embarrassée dans son effort pour rester perchée sur la tranche de la pièce tel un funambule. Elle paraît presque désarticulée, se tenant de travers pour tenter de conserver un semblant d’équilibre. Pourtant, elle à l’air davantage concentré et appliqué que paniqué, ce qui suggère qu’elle domine néanmoins la situation et qu’elle s’en accommode… du moins dans une certaine mesure ! Voilà qui la rend très proche du personnage que l’on voit sur le Deux de Pentacles du Rider-Waite Smith Tarot originel, tant dans la représentation picturale que dans les notions véhiculées par les deux lames. Encore une fois, The Shadowland Tarot apporte une vision très intéressante et très pertinente de la symbolique originelle et la transpose habilement dans son univers si particulier tout en explicitant certains des aspects de la lame de départ, le tout avec un aspect humoristique affirmé.

Le livre accompagnateur

Le Chaudron de Morrigann: The Shadowland Tarot - Couverture du livreLe coffret abritant The Shadowland Tarot contient non pas un petit livret, mais un vrai livre de 200 pages environ, un peu plus grand qu’un format A5. Comme l’ensemble du coffret, celui-ci est un bel objet, très soigné dans sa réalisation. Les pages sont en papier glacé et imprimées en couleur, ce qui permet de prolonger le plaisir de se plonger dans l’univers du jeu. On retrouve d’ailleurs à l’intérieur une dominance de noir et de jaune pour les pages délimitant les différentes parties de l’ouvrage, ainsi que l’araignée mascotte (récurrente dans le jeu et déjà présente sur le coffret ainsi que sur la couverture du livre) qui apparaît sur chacune des pages puisque c’est elle qui, suspendue à son fil, affiche les numéros de pages.

Outre ce graphisme original, le contenu du livre est à la hauteur des attentes car il permet de faire connaissance avec The Shadowland Tarot de façon approfondie. Dans un premier temps, Monica Bodirsky revient sur son intérêt pour le monde de l’ombre, son rapport aux monstres et son affection pour eux, mais aussi sur l’importance de l’aspect Jungien que revêt le travail d’exploration que l’on peut faire dans ce contexte. Par ailleurs, elle souligne l’importance de la tradition Waite (qui est le modèle qu’elle a choisi de suivre ici) et son impact sur le monde du tarot, ainsi que celle des différentes traditions ésotériques qui ont nourri son parcours spirituel et d’artiste. Voilà qui offre un éclairage intéressant pour quiconque souhaite pénétrer dans cet univers quelque peu inhabituel !

Une fois passés ces éléments introductifs, place aux présentations des cartes. D’abord les majeures, puis les mineures. Chaque lame est développée sur une double page, ce qui offre l’espace nécessaire à différents types d’informations : un conseil résumé en une phrase sous le nom de la lame (écrit à la première personne, majeures uniquement), une brève présentation des éléments qui composent la carte et de leur portée symbolique, une liste de mots-clefs permettant de fixer les principales significations habituelles, une liste de mots-clefs aidant à cerner les aspects sombres qui peuvent émerger des cartes selon la méthode employée et le but recherché dans la consultation, un texte composé de plusieurs paragraphes développant le message des lames, et enfin une série de questions visant à ouvrir une réflexion profonde en lien avec la lame tirée. Cette dernière section est particulièrement intéressante car elle invite le consultant à aller plus loin dans son exploration et à considérer les cartes et leurs messages sous un angle qu’il aurait sans doute occulté sans ces indices.

Qu’il s’agisse des lames majeures ou des lames mineures, le même soin a été accordé à leur traitement. Chacune des soixante-dix-huit lames de ce tarot est considérée en détails, ce qui permet à tout un chacun de se familiariser avec ce jeu aisément, même s’il n’a pas de connaissances approfondies par rapport au langage symbolique du tarot. L’expert y trouvera lui aussi de quoi étudier The Shadowland Tarot avec sérieux, notamment à travers la manière dont le prolongement de la tradition Waite dans ce jeu y est explicité. Les interprétations des tirages s’en trouveront donc considérablement enrichies !

La dernière partie du livre est consacrée à l’utilisation du jeu. On y trouve donc divers conseils, ainsi que des suggestions et des rituels qui contribueront si on le souhaite à un bon entretien du jeu et à tisser une solide relation avec lui, de même que des conseils méthodologiques et techniques à mettre en pratique dans les tirages que l’on effectue, sans oublier un certain nombre de précisions complémentaires auxquelles on pourra se référer en fonction du type d’exploration que l’on mène. Viennent ensuite un nombre non négligeable de méthodes de tirage, dont la plupart sont originales. Les tirages proposés sont très intéressants car ils permettent de rester au plus près de l’état d’esprit et des thématiques du jeu à travers l’angle d’approche qu’ils adoptent. La curiosité est éveillée et l’envie de tous les essayer est grande ! Nul doute que ces méthodes de tirage apporteront encore davantage de profondeur aux explorations menées !

Enfin, le livre s’achève sur une F.A.Q. (Foire Aux Questions) dans laquelle Monica Bodirsky répond brièvement à dix-sept questions que l’on peut se poser sur le tarot, la cartomancie, la divination et sur certaines des superstitions très répandues sur ces sujets. Les éléments apportés sont le reflet de son expérience et de ses pratiques et il est très intéressant de les confronter aux nôtres pour les comparer et les enrichir !

Voilà donc un livre accompagnateur très réussi, tant au niveau de l’objet que de son contenu. Il promet des heures de lecture et de relecture passionnantes, en compagnie du jeu.. ou sans lui !

Utilisations du jeu

Sur le plan technique, The Shadowland Tarot s’utilise comme n’importe quel autre tarot de tradition Waite. Les lames peuvent être lues droites et renversées, avec toutefois une particularité : pour rester au plus près du thème du jeu, Monica Bodirsky précise que lorsqu’on tient compte du sens renversé des lames, il est judicieux de considérer leur aspect sombre, celui qui appartient au domaine de l’ombre. Ce dernier est clairement mis en relief dans le livre accompagnateur puisqu’un paragraphe lui est dédié lors de la description de chaque carte. Voilà qui permet de travailler de manière un peu différente de ce à quoi l’on est habitué, ouvrant ainsi des perspectives extrêmement intéressantes.

Côté pratique – divinatoire –, ce tarot permet un champ d’exploration très vaste. On peut bien sûr tout à fait l’utiliser en toute circonstance, et pour tout type de question ou de problématique. Grâce à lui, il est ainsi possible de se pencher sur les questions sentimentales, relationnelles, professionnelles, financières, etc., et d’obtenir des résultats saisissants par leur exactitude et la profondeur des conseils formulés.

Cependant, là où The Shadowland Tarot excelle, et l’on s’en doute, c’est lorsqu’on s’en sert pour examiner les problématiques liées à la vie intérieure, à l’introspection et à la connaissance de soi. Employer ce jeu en tant que révélateur de soi, de nos mécanismes inconscients et profondément ancrés en nous est particulièrement intéressant car on se place ainsi au plus près de sa thématique, dont on tire alors tous les bénéfices. Par conséquent, si l’on est en proie à des peurs, à des traumatismes, à des difficultés relatives à la confiance en soi ou à la construction de soi (si l’on se cherche, par exemple), ce jeu est idéal car il aide le consultant à aller puiser au plus profond de lui-même et à se confronter à ce qui l’empêche d’avancer et de se réaliser. Si l’on est tourné vers ce type de problématique divinatoire, The Shadowland Tarot est le jeu idéal !

Enfin, il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention de pratiquer la divination pour utiliser ce tarot. En effet, Monica Bodirsky souligne également dans le livre accompagnateur la possibilité de l’employer pour la méditation. Se laisser porter par les illustrations permet à l’esprit de voyager dans l’univers du jeu et de s’apaiser au contact des créatures que l’on y rencontre. Si l’on est adepte de ce type de pratique, l’expérience s’annonce très enrichissante !

À qui ce jeu s’adresse-t-il ?

Ce magnifique tarot s’adresse à toute personne désireuse d’explorer le monde de l’ombre : celle qui se trouve en chacun de nous, au plus profond et que l’on a parfois du mal à se résoudre à explorer tant ce que l’on risque d’y trouver peut nous effrayer, mais aussi celle qui se trouve autour de nous et qui représente les aspects dissimulés des situations auxquelles on est confronté. Que l’on souhaite se plonger dans nos ténèbres personnelles ou visiter les aspects obscurs de nos expériences de vie, The Shadowland Tarot est le jeu idéal !

Que l’on se rassure cependant : bien que l’on puisse appréhender ce type d’exploration, ce tarot reste un outil empreint de douceur et de délicatesse dans les messages qu’il délivre. Ainsi, quelles que soient les créatures que l’on y rencontre, on reste en sécurité en leur compagnie !

The Shadowland Tarot vous conviendra donc parfaitement si ces problématiques vous intéressent et si vous aimez les monstres. Nul doute que vous en tirerez des enrichissements qui vous aideront à trouver votre chemin lorsque votre route vous semble tortueuse !

Remarques

Bien que la thématique principale du Shadowland Tarot puisse inspirer quelque frayeur à certains de prime abord, en réalité il n’en est rien. En effet, l’obscurité dont il est question dans ce jeu est davantage une source d’éclairage que de confusion. Par conséquent, l’ombre à laquelle on s’intéresse révèle plus qu’elle ne dissimule, ce qui en fait une alliée de taille dans les explorations qu’il est possible de mener avec ce tarot. Voilà qui encourage l’utilisateur à se pencher sur ce qui lui paraît effrayant au départ et à l’apprivoiser afin de dépasser sa peur initiale.

En outre, le monde d’ombre et d’obscurité présenté dans ce jeu apparaît contre toute attente comme fascinant, accueillant et amical. En effet, il est peuplé de créatures particulières et inhabituelles dont certaines se retrouvent de manière récurrente sur les cartes comme si elles accompagnaient l’utilisateur tout au long de son périple dans cet univers. Bien que certaines de ces créatures soient effectivement effrayantes dans leur apparence et dans leurs significations, la plupart des êtres que l’on rencontre (monstres, animaux qui inspirent traditionnellement la peur, etc.) agissent davantage comme des révélateurs, comme des miroirs de ce que l’utilisateur porte en lui et ne veut pas nécessairement voir. Avec une certaine douceur, ces créatures permettent de se confronter à ce qui peut nous faire peur, tant en nous qu’autour de nous, et à trouver des pistes qui nous aideront à mettre en œuvre les changements qui nous permettront de les dépasser et de les dompter.

En d’autres termes, lorsqu’on prend la peine d’apprendre à les connaître et de dépasser l’appréhension initiale qu’elles suscitent, les créatures présentes dans The Shadowland Tarot apparaissent plutôt comme favorables à l’évolution du consultant, voire bienveillantes à son égard pour certaines. Ainsi, l’ombre que l’on explore grâce à ce jeu se révèle plutôt réconfortante, comme ses habitants en lesquels on trouve des compagnons uniques en leur genre et que l’on a plaisir à retrouver à chaque nouvelle exploration.

Où peut-on se le procurer ?

Au moment où j’écris ces lignes, ce jeu n’est pas traduit en français. Aussi, vous le trouverez sur vos boutiques en ligne préférées, qu’il s’agisse des plus connues ou de structures plus petites.

Référence exacte

The Shadowland Tarot (Monica Bodirsky). Atglen, PA: Red Feather Mind, Body, Spirit (Schiffer Publishing), 2020 [ISBN: 978-0-7643-5903-3].

Remerciements / Acknowledgements

[ENGLISH BELOW] Un immense merci à RedFeather qui a eu la gentillesse de m’envoyer ce très joli jeu pour lequel j’ai eu un coup de cœur dès sa sortie et que j’avais très envie de découvrir !

Les photographies des cartes et du coffret présentes dans cette critique apparaissent avec l’aimable permission de Red Feather.

[ENGLISH] I would like to thank RedFeather for kindly sending me this wonderful deck, which I had been eager to discover for real since its release. My expectations have not been disappointed !

The pictures of the cards and boxset included in this review appear with RedFeather’s kind permission.

(© Morrigann Moonshadow, le 09 novembre 2021. Reproduction partielle ou totale strictement interdite.)

Vous aimez cet article? Partagez-le!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *