Le cycle des arcanes majeurs dans le tarot de Marseille

Le Chaudron de Morrigann: Tarot de Marseille, jeuDans l’apprentissage du tarot de Marseille, il est certes important d’apprendre la signification de chaque lame, mais il est avant tout capital de comprendre comment fonctionne l’outil que l’on utilise. On a déjà vu ailleurs que celui-ci obéissait à une structure bien déterminée qui reprenait l’ordre du Monde. Afin de mieux comprendre cette construction particulière, il convient d’examiner le cycle des arcanes majeurs et de mettre en relief ses différentes phases. Cette démarche permet non seulement d’avoir une vision d’ensemble des lames majeures du tarot, mais elle facilite également les liens entre les cartes et leurs différentes significations lors de tirages.

Les étapes du cycle sont au nombre de quatre et représentent le chemin parcouru par le Mat au cours de son existence. Elles racontent donc son histoire au sein du Monde, de sa « naissance » à son épanouissement total sur tous les plans.

N.B. : les rôles attribués aux arcanes majeurs dans le cycle tel qu’il est présenté ici ne donnent en aucune façon des indications complètes quant aux significations divinatoires des majeurs. Ils sont envisagés sur le plan symbolique et initiatique au sein de l’évolution d’une figure.

Le Mat, pèlerin du tarot de Marseille

Le personnage qui parcourt le chemin de l’existence tel qu’il est représenté par ce cycle est le Mat. Seul arcane à ne pas porter de numéro, il se situe en quelque sorte en dehors du cycle puisqu’il est mobile et en traverse toutes les étapes. Au début du périple, il est en position 0, qui marque la mise en route de l’aventure et met en exergue sa mobilité. Son balluchon et son bâton sont ses principaux attributs. Ils indiquent un personnage en partance pour un long voyage pédestre. On peut y voir un nouveau départ. Cela dit, le Mat est marqué par son inexpérience et son insouciance, visibles à travers son costume de bouffon. Cette figure est en route vers la maturité, vers l’apprentissage de la vie et l’acquisition de la connaissance du Monde, et c’est son évolution que l’on suit grâce aux arcanes majeurs.

Première étape : les découvertes et les commencements

Le voyage commence avec le Bateleur (I) qui ouvre à la créativité tant matérielle que spirituelle. Grâce à lui, le Mat découvre qu’il peut agir sur la matière, qu’il peut faire passer ses idées du domaine abstrait au concret. On rencontre ensuite la Papesse (II), dont les attributs principaux sont le livre et le voile. Cette lame évoque la connaissance sous tous ses aspects. Le livre fait référence à la l’étude et l’apprentissage, et le voile est celui de la connaissance cachée et de l’intuition. Elle ouvre donc l’esprit du Mat, qui est désormais fort de ces acquis. L’Impératrice (III) symbolise l’abondance et la fertilité (donc la mère), tandis que l’Empereur (IIII) est l’autorité et la stabilité (le père). C’est un meneur qui trouve les solutions aux problèmes, celui à qui l’on peut se fier. Vient ensuite le Pape (V), qui porte en lui le poids de la tradition, du moule dans lequel il convient de se fondre. D’autre part, il a une portée spirituelle évidente et peut endosser un rôle de sage conseiller ou de protecteur.

On remarque qu’au cours de cette première étape, le Mat ne rencontre que des figures qui représentent une forme d’autorité et d’éducation : la transcription d’idées abstraites en concepts matériels, l’expression (le Bateleur), l’instruction (Papesse), la mère (l’Impératrice), le père (l’Empereur), ainsi qu’une éducation morale et spirituelle (le Pape). En d’autres termes, cette étape constitue l’« enfance du Mat », puisque celui-ci acquiert les principes qui vont l’aider à faire ses choix et guider ses pas sur les chemins de l’existence.

Deuxième étape : les hésitations et les choix

Elle commence par l’Amoureux (VI), qui est l’arcane du choix et de l’hésitation par excellence. Celui-ci indique les périodes de doutes et de remises en question des principes acquis précédemment. Le Mat est mis à l’épreuve, tiraillé entre plusieurs possibilités, et doit se servir de son discernement pour prendre les bonnes décisions. Ceci ne se fait pas sans lutter, comme le montre le Chariot (VII). Celui-ci est l’adversité dans toute son ampleur : rien ne s’obtient sans efforts (parfois acharnés) et si le combat est justifié, il se solde par un succès. Dans tous les cas, l’issue est juste, comme l’indique la Justice (VIII).

Après le combat et ses leçons vient la prise de recul avec l’Hermite (VIIII). Celui-ci prône le retrait et favorise l’assimilation des leçons récemment apprises et la réflexion. Cette période de solitude est marquée à la fois par les préoccupations matérielles et spirituelles, comme notamment la quête intérieure. Elle apporte une certaine sagesse qui permet au Mat de reprendre la route. Il découvre alors grâce à la Roue de Fortune (X) que l’existence comporte aussi une part de chance. On remarque d’ailleurs que la Roue de Fortune porte le numéro X et se situe quasiment à la moitié du chemin dans le cycle des majeurs. Elle constitue ainsi une forme de charnière dans le parcours du Mat, lui rappelant que si parfois la chance est avec lui, elle peut également l’abandonner sans crier gare.

Cette deuxième étape s’achève avec la Force (XI), qui en quelque sorte la résume, car elle est la somme de ce qui a été acquis lors de cette phase. En effet, elle symbolise l’humilité, qui est la principale leçon apprise par le Mat au cours de cette partie du cycle. Afin de poursuivre son parcours, le pèlerin doit savoir faire preuve de force certes, mais il doit la doser convenablement. Cette force peut être physique, morale ou spirituelle. Cela dit, il ne doit pas en abuser, car à l’excès elle mènerait à l’arrogance, l’orgueil et la condescendance. En revanche, en manquer revient à se laisser dominer par ses peurs, à manquer de courage et à un refus d’affronter les épreuves rencontrées.

 

Remarque

Dans la tradition Rider-Waite Smith, la Justice et la Force sont interverties, ce qui modifie bien évidemment le sens de cette phase. En effet, après avoir triomphé des adversités de toutes sortes incarnées par le Chariot, la tradition Waite considère que l’on acquiert la Force (qui porte alors le numéro VIII) à la fois physique et morale. Viennent ensuite le retrait et la quête intérieure (l’Ermite). La Roue indique la reprise du mouvement mais représente aussi le fait parfois difficile à accepter que l’on ne puisse pas toujours contrôler les événements. La Justice (XI) clôt cette deuxième étape, montrant qu’au terme de celle-ci le Mat, fort de ses expériences, est désormais apte à peser le pour et le contre et de faire la part des choses. Ceci lui permet d’aborder la suite de son voyage avec discernement.

Le cycle des majeurs dans le Waite fera l’objet d’un autre article car il est très intéressant de voir de quelle manière les différences d’archétypes apportent d’autres éléments et nuances au cycle initiatique tel qu’il est présenté dans le tarot de Marseille. Ces différences permettent également d’avoir une bonne idée de la vision du Monde qui est véhiculée dans chaque de ces deux traditions.

Troisième étape : les épreuves

La première vient avec le Pendu (XII), qui incarne les blocages, l’impossibilité d’avancer, l’absence de progrès, le fait d’être retenu, retardé. Il représente aussi le sacrifice et le don de soi. Sur le plan spirituel, il est aussi le don de prophétie. La remise en route après cet arrêt forcé se fait à travers l’Arcane Sans Nom (XIII), qui représente la nécessité d’un changement radical (et parfois brutal), d’une transformation qu’’il est indispensable d’endurer. C’est un nouveau départ, une renaissance, un lâcher prise salutaire.

La reconstruction se fait à travers la Tempérance (XIIII), qui enseigne au Mat la patience, la force d’adaptation et la nécessité d’équilibrer les énergies qui le gouvernent. Cette forme d’autodiscipline lui permet de ne pas se laisser dominer par ses émotions, mais au contraire de peser les différentes options qui s’offrent à lui avant de prendre parti. C’est la maîtrise de soi et la capacité à prendre du recul. Elle permet de passer l’épreuve suivante. Le Diable (XV), qui symbolise en effet la tentation, les addictions en tous genres, l’aliénation aux instincts et aux désirs, le fait d’être dépendant du matériel. La notion de dépendance est représentée par les chaînes qui retiennent les prisonniers du Diable. Ainsi fragilisé, le Mat risque d’être déstabilisé et se trouve en proie à des situations inattendues, comme le montre la Maison-Dieu (XVI). Ce sont les accidents, les surprises, mais cet arcane fait aussi ressortir l’état de fragilité (émotionnelle ou autre) dans lequel se trouvent le Mat et ses projets. Dans tous les cas, on est confronté à quelque chose de surprenant et de violent. Seule l’expérience acquise au cours du voyage permettra d’y faire face.

Il est intéressant de noter que la Maison-Dieu constitue la transition entre la troisième et la quatrième étape du cycle. Elle porte ainsi le pèlerin sur un autre plan : après avoir appris les leçons du monde terrestre et avoir fait face à ses épreuves, il peut désormais atteindre le monde spirituel, et ce passage peut se faire de façon inattendue, voire avec une certaine violence.

Quatrième étape : l’élévation céleste et spirituelle et l’épanouissement du Mat au sein du Monde

Elle débute avec l’Étoile (XVII), qui indique la réalisation des rêves comme « récompense » à la traversée des épreuves. Elle est aussi l’espoir et la foi. Le Mat, affranchi des considérations terrestres, peut donc accéder au plan céleste. La Lune (XVIII) est le développement de l’imagination, des capacités psychiques (voire médiumniques), mais elle incarne aussi l’illusion. En effet, elle régit les marées, et donc l’eau, qui est l’élément de l’inconstance par excellence. La Lune se révèle alors versatile, rappelant que les apparences sont parfois trompeuses. Il faut donc se méfier et ne pas se laisser bercer d’illusions. Si l’énergie de la Lune est féminine et obscure, celle du Soleil (XVIIII) est masculine et rayonnante. L’astre réchauffe, apporte la joie et un dénouement heureux à toutes les situations.

Vient alors l’heure de l’éveil avec le Jugement (XX), qui permet de s’ouvrir à des choses que jusqu’alors le Mat ne pouvait voir. C’est en quelque sorte l’illumination que cherchent les sages, l’ouverture et la connaissance spirituelles par excellence. On accède à un état de conscience supérieur. Cette élévation spirituelle mène le pèlerin à s’accorder pleinement à l’univers dans lequel il vit. Ainsi, le cycle s’achève avec le Monde (XXI), qui indique que le but suprême a été atteint et que le Mat a pris la place qui lui revient au sein de l’univers. Il s’agit d’un passage vers un état supérieur où l’on se trouve en harmonie totale avec le Monde sur tous les plans : les leçons ont été apprises et l’on est capable de triompher dans tous les domaines grâce à l’expérience acquise au cours du voyage. Ce dernier arcane correspond à la libération de toutes les contraintes : le Mat a pleinement conscience de ce qu’il est.

Le Mat arrive ainsi au terme de son voyage initiatique d’origine certes, mais il se situe également au début d’une nouvelle aventure, d’où la structure circulaire du cycle des majeurs où la fin marque aussi un nouveau commencement. C’est pourquoi le Mat, qui occupe la position 0 en début de parcours, se voit attribuer la position XXII lorsqu’il termine son périple. Ceci accentue d’autant plus la circularité des majeurs et le fait qu’il soit à part et mobile parmi eux. Le Monde ne marque ainsi pas un véritable terme, mais plutôt la possibilité de poursuivre son évolution à un autre niveau.

Pourquoi ranger les lames dans l’ordre après utilisation ?

Je recommande ailleurs de remettre les cartes dans l’ordre avant de les ranger. Ce geste correspond à reconstituer le cycle des majeurs et donc l’ordre du Monde représenté par le tarot. Laisser les cartes telles qu’elles sont en fin de consultation et les ranger ainsi dans leur boîte revient à conserver le « chaos » créé par le consultant lorsqu’il a brassé les lames. Ce « chaos » est propre au consultant car il dépeint l’environnement dans lequel il évolue, mais n’est pas représentatif de l’ordre du Monde au sens universel.

Je remets systématiquement les lames (d’un tarot ou d’un oracle) dans l’ordre à la fin de toute consultation. Il me semble effectivement important que le consultant chamboule l’ordre du Monde universel et reconstitue sa situation personnelle par le biais du brassage. Le tarot a une structure bien particulière qu’il convient de respecter lors de sa manipulation.

(© Morrigann Moonshadow, le 31 janvier 2011. Reproduction partielle ou totale strictement interdite.)

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