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Chrysalis Tarot (Toney Brooks, Holly Sierra)
Texte : Toney Brooks
Illustrations : Holly Sierra
Éditeur : U.S. Games Systems, Inc.
Présentation
Véritable joyau, le Chrysalis Tarot est présenté très simplement dans le type de boîtier habituel pour un jeu de cartes. Cartonné et joliment décoré de motifs que l’on retrouve dans le jeu, il donne d’ores et déjà une idée de l’atmosphère si particulière qui domine l’ensemble. L’univers mis en scène promet d’être féerique et onirique à souhait, ce qui est confirmé dès que l’on regarde les cartes. On note également avec bonheur la présence d’un petit livret accompagnateur plutôt conséquent si l’on en juge par son épaisseur. On verra plus tard que cet espace alloué au texte plus important qu’à l’accoutumée est tout à fait judicieux car le Chrysalis Tarot, bien qu’il reste un tarot dans sa structure et les archétypes qu’il reprend, reste tout de même unique en son genre. Il méritait donc tout à fait que l’on s’y penche de manière plus attentive.
Les cartes
Elles sont de bonne facture et agréables au toucher, comme à l’accoutumée chez U.S. Games Systems, Inc. Si l’esthétique est tout simplement splendide, il est très important d’observer de quelle manière l’art subtil de Holly Sierra contribue à donner à ce jeu une identité qui lui est propre tout en l’inscrivant dans les codes de traditions déjà bien connues et largement utilisées dans le monde du tarot. C’est pourquoi on s’attachera d’abord à des considérations d’ordre esthétique puis structurelles, qui permettront ensuite d’avoir un aperçu de la manière dont le Chrysalis Tarot réinvente littéralement certains codes pour proposer une approche novatrice.
L’esthétique
Soignées jusque dans les moindres détails, les illustrations sont d’une incroyable richesse qui ravira non seulement les amateurs d’art, mais aussi les férus de symbolique. Si parfois « détaillées » rime avec « trop chargées », ce n’est pas le cas ici. Il s’agit bien d’une véritable richesse qui traduit la profusion d’idées véhiculée par chaque carte, où chaque élément a sa place. Ainsi, où que se pose l’œil sur la carte, il est perpétuellement nourri, découvrant toujours quelque chose qu’il n’avait pas vu jusque-là.
Sur le plan visuel, les couleurs utilisées sont plutôt douces, créant d’emblée une impression d’apaisement et de sérénité pour celui qui se trouve face au jeu. Le Chrysalis Tarot est empreint d’une grande douceur, quelles que soient les scènes dépeintes sur les cartes, ce qui contribue à donner à ce jeu une unité malgré la grande variété des traditions culturelles qu’il explore. Cette harmonie visuelle est sans nul doute l’une des forces de ce tarot car elle l’inscrit dans un univers onirique où l’esprit peut vagabonder sans heurts, quelle que soit la situation explorée lors des tirages. À cela s’ajoute la belle luminosité de chaque illustration et les jeux sur les contrastes qui permettent de comprendre la structure de la carte en un clin d’œil. Les éléments se détachent alors, montrant les différentes « couches » de significations que contiennent les lames.
Ainsi, la compréhension intuitive des lames est largement favorisée à travers l’art de Holly Sierra, qui a su allier de façon subtile univers onirique et symbolique de sorte que l’esprit soit à la fois libre et guidé dans la recherche des significations à donner aux tableaux que constituent les cartes de ce très beau jeu. Que ce soit pour leur valeur divinatoire ou artistique, on aura plaisir à plonger dans le monde que nous permettent d’approcher les lames du Chrysalis Tarot.
La structure du jeu et la symbolique utilisée
Un jeu mixte
L’une des principales particularités du Chrysalis Tarot réside également en sa structure. Les soixante-dix-huit lames qu’il contient et leur découpage en vingt-deux majeures et cinquante-six mineures en font bien un tarot, mais si l’on se penche plus avant sur sa composition, on s’aperçoit que s’il ne s’agit pas d’un tarot de Marseille, il ne suit pas non plus scrupuleusement une structure de type Rider-Waite Smith. En revanche, on trouve des éléments appartenant à ces deux traditions, agrémentés d’apports que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Ainsi, il est impossible de présenter le Chrysalis Tarot en tant que tarot de Marseille ou de l’inclure à la tradition Rider-Waite Smith. Il s’agit plutôt d’un jeu mixte, c’est-à-dire un jeu qui mêle des composantes de plusieurs traditions dans sa structure afin d’arriver à un système qui lui est propre.
Les lames majeures
Si l’on observe les lames majeures, plusieurs remarques viennent à l’esprit. Tout d’abord, on note que la Justice se trouve en position VIII, contrairement à ce que l’on trouve dans la tradition Waite où elle apparaît en XI. Ici, on suit donc les codes structurels de la tradition de Marseille, ce qui a une certaine importance au niveau du cycle illustré par les arcanes majeurs. En revanche, la carte des Amants (VI) est construite selon le modèle Waite puisqu’on a un couple amoureux (ici le Dieu et la Déesse, si l’on considère les attributs qui les accompagnent) dont l’union se fait en présence d’un troisième personnage. Dans le Waite classique, ce personnage est un ange qui, émergeant d’un nuage au-dessus du couple, bénit son union, tandis que dans le Chrysalis Tarot, il s’agit d’un vieillard couronné – certainement un sage magicien ou un grand prêtre, si l’on en juge par l’étoile de lumière que l’on voit au bout de son doigt – qui se trouve en dessous du couple.
Dans la continuité de ce qui vient d’être évoqué, il est tout aussi intéressant d’étudier de quelle manière le Chrysalis Tarot, par des procédés simples et en s’appuyant sur des repères connus des utilisateurs de tarots, se détache des traditions établies pour les réécrire et ainsi créer son propre système. En effet, si les noms des arcanes majeurs apparaissent clairement sur les lames, on se rend compte qu’ils sont en réalité au second plan car les auteurs ont renommé chaque arcane selon l’archétype choisi pour l’illustrer. Ainsi, l’utilisateur du jeu fait plus aisément le rapprochement entre l’image qui apparaît au départ dans un tarot « classique » et l’assimilation qu’en fait le Chrysalis Tarot avec un élément appartenant aux traditions culturelles qui y sont mises en avant. Ainsi, si l’Empereur (IV) est incarné par le Green Man, alors le Green Man devient littéralement l’Empereur du monde du Chrysalis Tarot.
Toutes les correspondances ainsi établies par Toney Brooks et Holly Sierra sont pertinentes et subtiles car elles mettent en valeur une réécriture fouillée du système du tarot. Par exemple, le Magicien (I) ne montre pas comme à l’accoutumée dans le système Waite un homme pratiquant un rituel de magie cérémonielle maquant l’union entre le plan sacré et le profane, pas plus qu’il ne dépeint le saltimbanque du tarot de Marseille. La démarche adoptée ici par l’artiste est des plus intéressantes puisqu’elle a réussi à marier les deux traditions à travers une représentation originale. En effet, le Magicien a été renommé et appelé « les Corbeaux », et l’illustration révèle un arbre sur les branches duquel deux corbeaux sont perchés, l’un sur la branche haute, l’autre sur la branche basse. L’arbre en question n’est autre que l’axe du Monde, de la même manière que l’est Yggdrasil dans la mythologie germano-scandinave. On remarque d’ailleurs que celui-ci est doté d’un œil à mi-hauteur de son tronc, ce qui en fait un observateur de ce qui se passe.
En tant qu’axe du Monde, l’arbre relie le plan sacré (situé au-dessus) et le plan profane (situé en dessous). Or, les deux plans communiquent également grâce aux deux corbeaux, qui illustrent de manière subtile le principe hermétique « As above, so below » (« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut »). Non seulement le corbeau posé sur la branche basse est un reflet du corbeau perché sur la branche haute (même couleur, même espèce animale), mais les deux créatures communiquent : celui qui est en haut regarde vers le bas tout en laissant tomber de son bec une sphère – que le prolongement de la correspondance germano-scandinave voudrait identifier comme étant un œil, surtout si l’on voit en ces deux corbeaux ceux d’Odin ! – et celui d’en bas lève la tête et rattrape les sphères qui arrivent d’en haut. On a donc bien ici une illustration du principe hermétique qui vient d’être évoqué et qui constitue l’un des principaux éléments dépeints par le Magicien dans la tradition Waite, mais aussi une réminiscence du Bateleur du tarot de Marseille, qui a lui aussi parmi ses attributs un objet de forme ronde en la pièce de monnaie qu’il tient dans la main droite.
La Grande Prêtresse prend les traits de la Fée Morgane, en laquelle il est tout à fait possible de voir un avatar de la déesse celte Cerridwen. L’arcane est renommé « la Sorcière ». Il est très intéressant d’observer qu’en anglais, le terme choisi par les auteurs est Sorceress et non Witch. Celle que l’on appelle sorceress peut certes jeter des sorts et pratiquer la magie pour influencer son environnement, mais la sorcellerie et l’occultisme qu’elle pratique ne visent pas uniquement à servir ses besoins terrestres. Là où la première (witch) pratique une sorcellerie que l’on appelle witchcraft, utilisant comme outils des éléments de son environnement proche et ses connaissances de la nature et du monde qui l’entoure, la seconde (sorceress) fait appel à des forces supérieures, faisant ainsi intervenir le plan sacré dans ses pratiques. Elle apparaît donc comme plus profondément connectée aux grands mystères du Monde qu’elle touche du doigt et fait office de lien entre les deux plans (sacré et profane). Or, c’est justement le rôle de la Grande Prêtresse dans le tarot. Elle est la gardienne du Temple où se trouvent la Connaissance et l’accès au Sacré, auxquels l’humain ne peut prétendre. La transformation de la Grande Prêtresse en Sorceress sous les traits de la Fée Morgane amplifie le rôle et la symbolique de l’archétype originel, d’autant que les attributs de la figure dépeinte la rattachent à sa position qui la situe entre les mondes profane et sacré, faisant ainsi d’elle le lien entre les deux.
Tout d’abord, Morgane est accompagnée de deux corbeaux, qui rappellent ceux que montrait la lame I. Ces animaux sont, on l’a vu, les messagers entre les deux plans, d’autant qu’ils endossent ce rôle dans plusieurs mythologies, y compris dans les systèmes celtiques où ils sont par exemple indissociables de la Mórrígu (aussi appelée la Morrigan – la Grande Reine –, de l’irlandais mór – grande – et rígan ou rígain – reine –), la déesse de la mort (et du destin), de la guerre et de l’amour, aussi appelé la Reine des Fantômes en raison de ses interventions sur les champs de bataille où elle décide de qui vit ou meurt.
Le chaudron est l’autre élément important ici, car il prolonge le lien que symbolise Morgane entre les deux plans. Dans les mythologies celtiques dont le chaudron est un élément récurrent, cet objet symbolise le creuset de la vie, c’est-à-dire l’utérus de la Déesse Mère dont toute vie est issue. Ainsi, il relie lui aussi les plans sacré et profane car il contient les mystères de la vie et de l’existence. Dès lors, on comprend pourquoi le chaudron est l’attribut par excellence de la sorcière et de tout jeteur de sorts et « faiseur de magie », puisqu’il permet de concentrer les forces motrices du Monde pour manifester les effets concrets de leurs actions ! C’est par exemple dans son chaudron que Cerridwen prépare la potion destinée à son fils difforme mais que Gwion Bach ingère accidentellement, changeant ainsi son existence de manière radicale. En effet, quelques gouttes suffisent pour lui donner des capacités hors du commun et il finit par renaître pour devenir Taliesin, le barde le plus renommé de toute la Bretagne.
Dans le Chrysalis Tarot, le choix de ces éléments et de la figure de Morgane – elle-même versée de sciences occultes – pour dépeindre l’archétype de la Grande Prêtresse est très pertinent car il évoque parfaitement le rôle de lien que tient la Grande Prêtresse entre les plans sacré et profane. Dans le tarot, elle seule a accès à la Connaissance et au Sacré, et c’est exactement ce qui est illustré ici : Morgane communique avec les deux plans comme le montrent les corbeaux d’une part, et d’autre part elle a directement accès au Sacré grâce au chaudron d’où émergent les effets de la magie qu’elle met en pratique au moyen de ses connaissances du Sacré. On remarque que ses yeux sont fermés, en signe de concentration et d’humilité.
Incarné par Gaia et l’Homme Vert (the Green Man), le couple impérial est ici une très belle représentation des deux principales forces motrices du Monde. L’Impératrice (III) prend en effet les traits de Gaia, qui n’est autre que la déesse de la Terre, mais aussi une allégorie de la Terre. Ceci est mis en avant à travers les attributs qui l’accompagnent sur la lame, tels que plantes et animaux, dont les premiers se mêlent à sa chevelure pour en devenir partie intégrante. Ses cheveux, de couleur verte comme les végétaux, se prolongent en effet en épis de blé et en fleurs, montrant ainsi que Gaia ne fait qu’un avec ce qui l’entoure. Dans le Chrysalis Tarot, elle est l’Impératrice, et ce pour plusieurs raisons. Visuellement, on retrouve une magnifique interprétation de ce qu’est cette figure archétypale dans le Rider-Waite Smith Tarot : non seulement on a une végétation abondante qui rappelle la fertilité de l’Impératrice, mais on observe également la présence de plusieurs épis de blé, qui rappellent ceux qui poussent à ses pieds. Symboliquement, Gaia constitue là encore une très belle réécriture de ce que véhicule l’Impératrice. Sa fertilité a déjà été constatée, mais elle est par-là même la figure de la mère universelle, nourricière, aimante et protectrice. Comme le montrent les végétaux qui prolongent ses cheveux, la vie émane d’elle car elle en est la source. C’est elle qui nourrit la Nature et, par extension, toute forme de vie. Elle est la Nature personnifiée, celle qui protège les êtres vivants (voir la colombe qu’elle tient dans ses mains) et leur permet de grandir et de se métamorphoser, comme le suggère par exemple le papillon que l’on voit au premier plan.
Comme dit ci-dessus, le rôle de l’Empereur (IV) est endossé par l’Homme Vert (the Green Man, en anglais). Dans l’univers médiéval, l’Homme Vert est une incarnation de la Nature à l’état « sauvage », par opposition aux villes qui sont quant à elles représentatives de la civilisation et de l’ordre instauré par les hommes. Tout espace situé en-dehors des agglomérations était considéré comme dangereux car le chaos y régnait. Les forêts étaient particulièrement concernées par ce type de conceptions et elles faisaient l’objet de nombreux fantasmes. Jugées dangereuses car non civilisées, elles devenaient le repaire des exclus de la société, tels les gueux, les voleurs et les brigands, mais aussi un lieu où l’on pouvait croiser d’autres créatures bien plus menaçantes pour l’homme. Ces êtres, issus des croyances païennes reléguées au second plan par la christianisation, se sont dans l’imaginaire et les croyances populaires réfugiés dans les seuls espaces non atteints par la nouvelle religion. Ils ont donc élu domicile dans les forêts où ils régnaient en maîtres. Ainsi, quel chevalier en quête d’aventure n’a pas fait la rencontre d’une Fée, voyant son destin changé pour toujours ? Qui n’a pas craint de se faire enlever, tels Thomas the Rhymer ou encore les héros des lais de Bretagne ?
Parmi ces créatures d’un autre temps et d’une autre dimension, il en est une qui est omniprésente dans toute forêt. Il s’agit de l’Homme Vert, qui n’est autre qu’une incarnation de la Nature, complémentaire à ce qu’exprime la Déesse. En effet, si la Déesse est l’aspect nourricier de la Nature en cela qu’elle en est la mère, l’Homme Vert en est quant à lui l’esprit protecteur : il la défend contre les agressions provenant d’éventuels intrus et en prend grand soin, s’occupant d’elle en œuvrant pour le bien-être de chaque élément qui la compose. On comprend alors pourquoi l’Homme Vert a été choisi ici en tant qu’Empereur ! Comme lui, il est celui qui maintient l’ordre, assurant une forme de stabilité pour ceux qu’il gouverne. Si l’Empereur du tarot est une figure d’autorité, de justice et d’abondance pour ses sujets, il en est de même pour l’Homme Vert qui lui aussi a pour mission de protéger les êtres qui peuplent la forêt et de leur garantir bien-être et abondance. La carte le montre d’ailleurs accompagné d’un oiseau, d’un nid contenant des œufs et d’un papillon au milieu d’une végétation luxuriante, reflet des bienfaits qu’il apporte. Son visage est doux et son attention semble concentrée sur le nid et la fragilité de ses œufs. Ces derniers représentent à la fois la fragilité de la Nature (d’où le rôle protecteur de l’Homme Vert), mais également l’idée de transformation et d’évolution car ils sont source de vie. C’est donc grâce aux bons soins de cet Homme Vert-Empereur que la Nature peut se développer, grandir et prendre des forces. Comme l’Empereur du tarot (en particulier de Marseille), c’est lui qui assure prospérité et abondance à l’environnement dans lequel il vit.
Le nouveau visage de l’Ermite (IX) est lui aussi révélateur des transformations qui s’opèrent au sein du Chrysalis Tarot. Sur le plan visuel, la carte peut d’abord sembler méconnaissable puisqu’ici, point de mont, pas plus que de vieil homme courbé tenant un bâton de marche dans la main gauche et une lanterne dans la droite ! Voilà qui a de quoi surprendre, d’autant que l’archétype le plus connu du tarot – merci Led Zeppelin ! – devient « la Conteuse » (the Storyteller), et prend les traits… d’une vieille femme ! De même, si l’Ermite se trouve habituellement dans un décor aride, on retrouve ici l’abondance de végétation et de vie animale qui caractérise ce jeu.
Alors que tout semble opposer les deux personnages jusqu’aux noms qu’ils portent (l’Ermite induit la solitude, le silence et le secret tandis que la Conteuse peut au contraire évoquer une personne entourée du public auquel elle dévoile ses récits), ils sont en réalité très similaires dans les concepts qu’ils véhiculent. En effet, si l’Ermite adopte souvent l’attitude silencieuse du sage, on tend à oublier parfois que la sagesse qu’on lui attribue est due à sa grande expérience, qu’il a acquise au cours de sa longue existence. Or, c’est bien cette expérience et les connaissances qui l’accompagnent que l’Ermite transmet à celui qui le rencontre, de la même façon que la Conteuse raconte des récits qui témoignent eux aussi de son expérience de la vie, mais également de sa connaissance de l’existence, que celle-ci s’inscrive dans le plan profane (vie et tracas du quotidien) ou dans le plan sacré (mythes, légendes, etc.). La Conteuse est d’ailleurs rattachée à la notion de sagesse à travers son grand âge, qui la rapproche de l’Aïeule (the Crone, en anglais), qui n’est autre que l’aspect âgé de la Déesse. Comme la Conteuse et l’Ermite, celle-ci est la plus expérimentée et a une connaissance approfondie du Monde.
Il est important de noter que si l’Ermite se tient de profil dans le tarot, la Conteuse fait face à celui qui contemple la lame et le regarde droit dans les yeux, ce qui contraste avec son homologue qui ferme les yeux dans la tradition Waite. En tant que Conteuse, elle se doit de se montrer ouverte car l’activité par laquelle elle est définie lui confère des qualités de communication certaines. S’adressant inévitablement à un public, il lui est nécessaire d’établir un contact soutenu avec la ou les personne(s) qui l’écoute(nt). Tandis que l’Ermite est introverti et tourné vers l’intérieur, elle s’oriente plus ouvertement vers l’extérieur et vers les autres. Les deux figures transmettent certes de précieuses connaissances, mais leur manière de procéder diffère, de même que leur attitude. Cette idée se prolonge en outre à travers la lumière que chacun (dé)tient. En effet, l’Ermite tient la lumière de la Connaissance au sein d’une lanterne qu’il tend devant lui pour éclairer la voie, tandis que la Conteuse la présente à mains nues à celui ou celle qui se trouve devant elle. Elle la tend devant elle comme pour la transmettre, s’adressant des yeux au destinataire. Si l’on regarde le rayonnement de cette lumière, la manière dont il est représenté est dans les deux cas très intéressante. Chez l’Ermite, les rayonnements qui émanent de l’étoile sont des rais de lumière tandis que chez la Conteuse, ceux qui prolongent la boule de lumière qui repose dans ses mains se prolongent en de multiples rayons, qui eux-mêmes dans leur prolongement deviennent des branches d’arbres aux nombreuses ramifications. Celles-ci montrent le lien étroit qui existe entre le savoir de la Conteuse et le Monde : elle a accès à des connaissances cachées que seule une profonde compréhension du Monde et de la Nature permet d’acquérir. À travers ses récits, la Conteuse y initie celui qui l’écoute.
Ainsi, la connaissance profonde du Monde, invisible de prime abord, réside en la Nature. C’est ce que confirme la manière dont le Chrysalis Tarot illustre le capuchon de son arcane IX. Dans le tarot (Waite), la tête de l’Ermite est couverte du capuchon de son long manteau, alors que la Conteuse est vêtue de nature et d’une lumière qui rayonne derrière elle. En guise de capuchon, deux oiseaux aux ailes déployées apparaissent pour lui couvrir la tête, accompagnés de végétaux qui la couronnent. Sa chevelure semble également faite de longs brins d’herbe, faisant de la Conteuse une vieille femme dont la connaissance du Monde et de la Nature l’a fait fusionner avec eux. Elle se présente à son tour comme une véritable incarnation de la Nature, devenant un autre visage de Gaia, avec qui elle partage la position et certains attributs. On peut ainsi voir en chacune de ces figures l’un des visages de la triple déesse, à savoir la Mère en Gaia et l’Aïeule (the Crone) en la Conteuse.
Que l’on se réfère à la tradition Marseille ou Rider-Waite Smith, le Jugement (XX) est habituellement présenté suivant l’image du Jugement Dernier, épisode biblique qui voit le réveil des morts et leur jugement afin de déterminer s’ils peuvent rejoindre le Paradis ou non. On voit alors sur la lame des tombeaux ouverts d’où se relèvent hommes, femmes, enfants et vieillards, appelés par la trompe de l’ange qui se trouve au-dessus d’eux dans le ciel. Les morts accueillent cette renaissance avec félicité, les bras tendus en guise de reconnaissance, saluant l’appel salvateur. Dans le Chrysalis Tarot, l’image biblique est gommée pour laisser place à une allégorie mythologique qui se manifeste sous les traits du phénix, oiseau légendaire connu pour renaître perpétuellement de ses cendres. Est bien sûr repris ici le thème de la résurrection puisque l’oiseau revient à la vie après sa mort, mais cette idée n’est pas la seule exprimée par l’image du phénix. En effet, l’oiseau ne revient pas pour être identique à ce qu’il était avant sa mort, mais porte en lui toutes les expériences qu’il a traversées. Celles-ci s’illustrent par ses plumes, dont les couleurs vives et la luminosité mettent en relief la force et le dynamisme qui animent la créature. Nourri par ses expériences et ce qu’il a hérité de son passé, le phénix revient plus fort qu’auparavant, mu par un élan qui lui permet de s’élever encore plus haut et de prendre encore plus d’envergure.
Si le tarot traditionnel présente les morts se réveillant au moment de l’appel de l’ange, le Chrysalis Tarot montre lui aussi le phénix en pleine renaissance puisque l’on peut apercevoir les flammes qui dansent autour de l’animal qui prend son envol. L’oiseau s’élève dans les airs, prêt à montrer toute son envergure. C’est une nouvelle existence qui s’offre à lui, où il sera fort des expériences qu’il a vécues jusqu’alors et dont ses plumes colorées sont les témoins. Si les morts du tarot « classique » atteignent la plénitude grâce à la résurrection commandée par la trompe de l’ange et se trouvent libérés de leurs fardeaux terrestres, le phénix est lui aussi affranchi de son existence passée et des épreuves qu’il a pu y rencontrer. Il les a intégrées, ce qui lui permet d’atteindre un état supérieur et de commencer un nouveau cycle.
S’il est une lame majeure qui incarne l’essence-même du Chrysalis Tarot, il s’agit bien du Monde. En effet, Psyché vient illustrer la lame qui clôt le cycle des majeures, lui donnant même son nom. Le Monde (XXI), désormais représenté sous les traits de cette figure grecque, évoque parfaitement l’idée de passage et de renaissance qu’il véhiculait dans les traditions « classiques » tout en adoptant ici un angle différent. Les animaux symbolisant les quatre évangélistes ont disparu, de même que la couronne que traverse une femme nue. Dans le Chrysalis Tarot, ces éléments sont absents et ont été remplacés par une scène très intéressante : Psyché marche sur ce qui semble être la surface du monde, illustrée par une boule de terre sur laquelle pousse de l’herbe. Au centre, une fleur de tournesol rayonnante de lumière induit le succès et la joie, mais aussi l’illumination de l’esprit qui vient à celui ou celle qui arrive à la fin du cycle. Psyché marche sur cette surface les yeux fermés, visiblement plongée dans un état de méditation, à moins qu’elle ne savoure le vent du changement face auquel elle se trouve si l’on en croit sa chevelure qui flotte derrière elle. Son visage paisible et son bras tendu en arrière vers le ciel suggèrent qu’elle est prête à accueillir ce qui lui arrive et qu’elle le fait avec bonheur, comme si elle en tirait un profond soulagement tout en s’en trouvant grandie.
Les magnifiques ailes de papillon qui sont attachées au personnage symbolisent la transformation, le passage d’un état à un autre. Elles suggèrent ici la fin d’un cycle et le commencement d’un nouveau et évoquent la transformation à laquelle l’âme se soumet tout au long du cycle des majeures, traversant maintes étapes avant de pouvoir évoluer vers un autre stade, vers une nouvelle existence où elle entamera un nouveau cycle, apprenant encore et toujours, mais toujours forte de ce qu’elle aura éprouvé au cours des cycles précédents. Cet aspect est d’autant plus intéressant que comme le précise le livret accompagnateur, le terme psyche signifie en grec à la fois le papillon et l’âme. Ces deux sémantiques sont ici associées pour traduire de manière poétique l’aspect spirituel du Monde, mais aussi la thématique autour de laquelle s’organise le Chrysalis Tarot.
On a donc, encore une fois, une très belle réécriture d’un archétype qui s’inscrit parfaitement dans l’optique adoptée par ce jeu. Les aspects chrétiens de la lame de départ sont gommés pour laisser place à une symbolique universelle et orientée vers les traditions spirituelles païennes. Le fil conducteur qui est développé dans l’ensemble du jeu se trouve mis en valeur, à tel point que le Monde, incarné par Psyché, concentre les idées de transformation, de renaissance et de passage à un autre état qui comptent parmi les principales valeurs véhiculées par ce jeu.
Les lames mineures
Comme on vient de le voir, les lames majeures du Chrysalis Tarot connaissent d’intéressantes transformations par rapport à leurs cousines des traditions Waite ou de Marseille. Les lames mineures ne sont pas en reste et sont elles aussi marquées par l’atmosphère particulière qui imprègne le Chrysalis Tarot. Les quatre suites sont par exemple renommées comme suit : les Bâtons deviennent les Spirales (Spirals), toujours reliées à l’élément Feu ; les Miroirs (Mirrors), connectés à l’élément Eau, sont les Coupes ; les Rouleaux de Parchemin (Scrolls), régis par l’Air, sont les Épées, et les Pierres (Stones) sont l’équivalent des Pentacles et sont liées à la Terre.
Contrairement à ce que l’on constate parfois avec d’autres jeux, ces changements ne sont pas déroutants et sont très vite assimilés, car les correspondances au niveau des éléments apparaissent comme évidentes pour chaque suite. Ainsi, les Spirales sont dominées par des couleurs rappelant le Feu et les Miroirs mettent en scène un environnement dans lequel l’Eau n’est jamais loin et où le bleu est omniprésent. Les Rouleaux de Parchemin mettent quant à eux en valeur le violet, qui n’est autre que la couleur de l’inspiration, de la méditation et de l’ouverture de l’esprit aux perceptions extra-sensorielles. Or, l’Air est précisément l’élément de l’esprit et de l’inspiration, mais aussi de l’intelligence. Enfin, la suite des Pierres est dominée par le vert, qui constitue bien sûr une allusion à la Terre.
Si comme dans la tradition Waite les mineures sont entièrement illustrées, le Chrysalis Tarot n’en est pas pour autant un simple « copier-coller » : certaines lames reprennent la symbolique originelle du Waite tandis que d’autres semblent s’en éloigner visuellement. Il faut alors se montrer observateur et regarder bien attentivement les illustrations pour trouver de quelle manière le langage symbolique est utilisé pour retranscrire les idées véhiculées par le tarot tout en les enrichissant des particularités du Chrysalis Tarot. L’étude des mineures se révèle alors très riche, voire infinie, et tout en subtilité.
Un autre point remarquable par rapport aux arcanes mineurs est sans nul doute la forme singulière qui est donnée à ce que l’on appelle habituellement la Cour Royale. Ici, elle est remplacée par « la Troupe », qui n’est autre qu’un groupe de personnages uniques faisant appel à des archétypes d’itinérants médiévaux. Si les rangs originels apparaissent sur les cartes pour donner une idée de hiérarchie, le nom des figures représentées est mis en avant afin que chaque membre de la troupe soit clairement identifiable. Ces personnages deviennent donc tour à tour notamment des conseillers, des confidents, des guides ou encore des messagers que chacun est susceptible de rencontrer un jour sur son chemin. Par ailleurs, ces archétypes étant bien connus de tous puisqu’ils font partie de la mémoire collective, les interpréter lorsqu’ils apparaissent au sein d’un tirage se fait naturellement et intuitivement car les messages qu’ils portent en eux se révèlent comme des évidences.
De la même manière que la réécriture des lames majeures est intéressante et intelligente, s’adaptant parfaitement à la direction choisie par les créateurs du jeu, les modifications apportées aux mineures sont d’une finesse et d’une subtilité qui les rend particulièrement agréables et aisées à utiliser. Chaque réappropriation se justifie dans le cadre donné au Chrysalis Tarot, ce qui en fait un jeu d’une incroyable richesse, que ce soit aux niveaux artistique ou structurel.
Le livret accompagnateur
Inséré dans le boîtier qui contient les cartes, le livret accompagnateur est de dimension similaire à celle du jeu et imprimé en noir et blanc. Il est intéressant de constater qu’il est d’une épaisseur plus importante que les livrets habituels, ce qui laisse présager que l’on y trouvera non seulement les informations classiques qui y figurent à l’accoutumée, mais également – et surtout ! – des éléments spécifiques au jeu que l’on a entre les mains.
Ceci se vérifie dès les premières pages : le livret s’ouvre sur une introduction présentant le Chrysalis Tarot et l’univers dans lequel il plonge celui qui l’utilise. Ainsi, on a dès le départ un aperçu concis mais clair des grands principes qui régissent le jeu et de ses aspects structurels particuliers, ce qui permet d’emblée une prise en main plus aisée. Vient ensuite la description des cartes, à commencer par les arcanes majeurs. Après une très brève introduction quant à leur impact et leur utilisation dans le jeu, chaque lame est présentée en détails. Au nom de la carte est associée sa correspondance issue de l’appellation de tradition Waite, puis quelques mots-clés qui font office d’attributs et de compétences qui caractérisent l’archétype illustré. Les significations de la lame sont ensuite expliquées en tenant compte de la symbolique à laquelle il a été fait appel. Ces descriptions sont relativement fouillées par rapport à celles qui figurent habituellement dans les livrets accompagnateurs, permettant d’ouvrir les perspectives et de mettre en valeur la richesse du Chrysalis Tarot, tant en termes de symbolique que d’inspiration et d’interprétation.
Outre les quatre suites, les arcanes mineurs sont quant à eux divisés en deux sections principales que sont les numéraires et la « Troupe ». Les explications concernant les numérales sont précédées d’une introduction rappelant dans les grandes lignes le rôle des lames mineures dans le jeu, puis chaque suite est détaillée, en commençant par une introduction visant à fournir quelques repères quant à ce qu’elle symbolise. La description des cartes suit le même modèle que celui utilisé pour les majeures. Ainsi, l’idée générale de la lame est exprimée par un mot-clé qui servira de guide pour la lecture en contexte, puis vient une description développant l’idée générale à travers un décryptage symbolique des éléments dépeints. La Troupe est ensuite présentée de manière plus approfondie car elle constitue l’une des particularités du Chrysalis Tarot, en cela que si elle reprend la structure de la Cour Royale du tarot, elle s’en démarque par l’unicité des personnages qu’elle présente. En effet, si chaque personnage occupe un grade comme à l’accoutumée (Roi, Reine, Chevalier et Page), il n’est plus anonyme mais devient particularisé, ne serait-ce que par son activité qui en fait une entité unique au sein du jeu. Ceci est d’autant plus mis en avant que chacun joue un rôle bien distinct au sein du jeu, ce qui est mis en exergue dans le livret à travers l’attribution à chacun non seulement de caractéristiques en termes de compétences et de valeurs, mais aussi d’un rôle bien précis incarné par chaque archétype. Les explications concernant les significations des cartes se font ensuite à travers les caractéristiques symboliques représentées par chaque figure et à travers l’analyse des éléments qui l’accompagnent.
Le livret s’achève sur la présentation d’un mode de tirage. Ici, pas de tirage en croix, pas plus que de croix celtique, mais un tirage en cinq lames qui joue de manière subtile avec les cinq éléments et leurs particularités. Il s’agit d’un mode de tirage simple, certes, mais il convient tout à fait à une première approche du Chrysalis Tarot car il s’accorde particulièrement bien avec l’univers du jeu et permet d’en découvrir les singularités. Il constitue un tremplin pour l’utilisateur qui pourra aisément par la suite recourir à d’autres modes de tirage pour d’autres types d’explorations.
Utilisation du jeu
Bien sûr, le Chrysalis Tarot peut s’utiliser comme n’importe quel autre tarot, en particulier si l’on a une bonne connaissance des traditions Rider-Waite Smith et de Marseille tout en étant capable de se référer au système particulier développé par le Chrysalis. Cela dit, les débutants y trouveront également leur compte, du moment qu’ils considèrent qu’il s’agit d’un jeu unique qui s’appuie sur des traditions déjà existantes tout en se les réappropriant.
En ce qui concerne les aspects pratiques, on sera tenté de privilégier les tirages et consultations qui concernent la connaissance de soi, l’interprétation des rêves et l’exploration intérieure ainsi que les périodes de transition et de transformation, le tout en raison de l’atmosphère si particulière qu’il dégage et des thématiques liées à la psyché et à l’exploration de soi qu’il développe. En effet, il ne faut pas oublier que le nom même du jeu évoque la métamorphose à travers l’image de la chrysalide ! Loin de moi l’idée d’insinuer que ce jeu n’est pas utilisable dans des contextes matériels ou des situations touchant au domaine du concret et du terre à terre, car la vision du Monde qu’il présente équilibre plutôt bien les différents plans de l’existence (spirituel, connaissance de soi, matériel, pour ne citer que ceux-là). Ainsi, il est une aide remarquable dans la prise de décisions délicates et pour trouver sa voie.
Ce jeu permet donc de faire des tirages simples aussi bien que complexes en apportant un éclairage pertinent sur toutes les situations. Les réponses obtenues sont limpides et incluent une touche de poésie qui n’en minimise en rien l’impact, bien au contraire ! Il reste très agréable à utiliser tant il dégage un sentiment d’apaisement et de fluidité, et la lecture intuitive s’en trouve grandement privilégiée pour qui est sensible à l’atmosphère qu’il projette.
Par la richesse de ses détails et l’atmosphère qu’il dégage, l’art inspiré de Holly Sierra rend le Chrysalis Tarot tout à fait propice à la méditation. Ainsi, on aura plaisir à se laisser porter et transporter par les scènes dépeintes sur les lames, rencontrant tour à tour les différents personnages qui révéleront leurs secrets à qui saura les déchiffrer.
Remarques
Ce jeu est sans conteste l’une des plus belles réalisations qui ont été produites dans le monde très prolifique du tarot ! On a jusqu’à présent mis en relief la richesse, la beauté et la finesse des illustrations de Holly Sierra ainsi que la réappropriation et la réinterprétation des symboles propres au tarot en se penchant directement sur les lames, mais il est d’autres niveaux encore où s’exprime la profondeur et la subtilité du Chrysalis Tarot.
S’il est désormais évident que ce jeu constitue une réécriture du tarot à part entière et devient un système unique à lui tout seul, il est intéressant d’observer de quelle manière ceci se manifeste. L’un des points forts du Chrysalis Tarot est l’universalité des symboles qu’il met en scène et la grande diversité des cultures qu’il représente en ses lames. L’analyse proposée plus haut pour certaines lames majeures a mis en relief quelques aspects celtiques, germano-scandinaves et néo-païens, mais ce ne sont pas les seules cultures et mythologies auxquelles touche le Chrysalis Tarot. En effet, la divinité égyptienne Ma’at a été choisie pour incarner la Justice (VIII) tandis que la terrible Kali illustre la Tour (XVI) et nous transporte en Inde, semant chaos et destruction sur son passage. Papa Legba quant à lui oriente la Force (XI) vers les ressources de la tradition vaudoue alors que le Diable (XV), sous les traits de Bella Rosa, touche à l’univers du Carnaval de Venise. Les mythologies classiques sont également représentées puisque la Mort (XIII) montre Ariane et le labyrinthe du Minotaure. La jeune femme tend à qui vient vers elle la pelote de fil qui lui permettra de retrouver son chemin où qu’il se rende dans le dédale. Puisant à nouveau dans la mythologie grecque, l’Étoile devient Elpi, qui n’est autre que l’allégorie de l’espoir. Les lames mineures prolongent cette démarche de façon tout aussi intéressante. Dans les branches des arbres dépeints sur le Trois de Spirales, on retrouve par exemple la tête de Bouddha et Pan apparaît, flûte en main et couronne de fruits et de feuilles sur la tête, dans le jardin paradisiaque du Six de Miroirs.
Le Trois de Miroirs est également une très belle carte, qui utilise cette fois la symbolique chrétienne de manière extrêmement subtile. On y voit en effet un arrière-plan rappelant l’Afrique à travers la statue, le totem et le masque. Voilà le parfait décor pour mettre en scène un lion ! Celui-ci est couché sur un sol couvert d’une végétation abondante, auprès d’un agneau. Or, l’agneau est un élément important de la symbolique chrétienne puisqu’il représente principalement la pureté (de l’enfant, du Christ) et l’innocence. La scène dépeinte sur cette carte met donc en présence deux qualités complémentaires : l’innocence et la pureté de l’agneau d’une part, et la force, la flamboyance, mais aussi le courage et le caractère sauvage du lion. Ceci est d’autant plus intéressant que cette même image est évoquée dans le deuxième couplet du chant gospel intitulé « (There’ll Be) Peace In The Valley » : « And the bear will be gentle / And the wolves will be tame / And the lion shall lay down by the lamb » [« Alors l’ours se fera doux / Et les loups seront apprivoisés / Et le lion se couchera auprès de l’agneau »]. L’analogie entre le Chrysalis Tarot et ce chant traditionnel se poursuit au-delà de la symbolique de cette carte, car si l’on regarde la suite du couplet, on trouve ces mots : « And the beasts from the wild shall be led by the child / And I’ll be changed, changed from this creature that I am » [« Alors les bêtes sauvages seront guidées par l’enfant / Et je me transformerai, laissant derrière moi la créature que je suis »].
Voilà qui résonne parfaitement avec le message même du Chrysalis Tarot ! On retrouve ici la notion de transformation, présente dès le titre donné au jeu et qui lui sert de fil conducteur. L’image de la chrysalide fait de ce tarot un outil particulièrement adapté à tout ce qui touche aux questions de métamorphoses et d’évolution. On la retrouve d’ailleurs au dos des cartes sous forme de papillon, qui n’est autre qu’une chrysalide qui a achevé sa transformation.
La grande diversité des traditions représentées dans ce jeu peut faire craindre un résultat disparate et décousu. Pourtant, il n’en est rien, bien au contraire. Cette variété est tout à fait la bienvenue dans le Chrysalis Tarot, car elle permet à toutes les cultures représentées de cohabiter en parfaite harmonie, contribuant à donner à l’ensemble une dimension encore plus universelle que ce que l’on a l’habitude de trouver. En effet, que ce soit par sa structure, par les idées qu’il véhicule ou par les repères culturels et traditionnels qu’il utilise, ce jeu est unique en son genre. La multiculturalité qu’il présente montre une grande ouverture sur le Monde, et l’on ne peut que saluer les recherches minutieuses qui ont dû être entreprises par Toney Brooks et Holly Sierra, non seulement pour produire quelque chose d’aussi cohérent en termes d’unité mythologique, mais aussi sur le plan visuel : malgré la diversité des univers desquels il est question, l’unité artistique est bien présente et harmonise l’ensemble de façon magistrale. Voilà qui fait de ce très bel objet un outil pour tous !
L’atmosphère unique qui se dégage des illustrations de Holly Sierra confère une autre qualité importante à ce jeu. La grande abondance des éléments symboliques et la précision avec laquelle ceux-ci sont agencés dans la composition les cartes sont propices à l’évasion de l’esprit, et donc à une lecture intuitive des lames. Voilà qui met en avant une partie de la richesse du Chrysalis Tarot : celui-ci est pensé à la fois pour une lecture raisonnée s’appuyant sur l’étude et la compréhension du langage symbolique et culturel présent sur les lames, et pour une lecture intuitive et méditative laissant libre cours aux inspirations de l’esprit.
On notera enfin que la lecture renversée des lames n’est pas prévue dans le livret. Si l’on a l’habitude d’utiliser les lames renversées dans ses lectures, ceci peut paraître déroutant. Pourtant, il est tout à fait possible de se servir des lames renversées, à condition toutefois de veiller à ne pas dénaturer les cartes dans l’interprétation que l’on en fait. Ainsi, les lames renversées peuvent indiquer les aspects sur lesquels on doit travailler, des manques ou des choses qui nous font défaut, ou encore des obstacles et des blocages qui se mettront sur notre route. Voilà de quoi pousser encore plus loin ses explorations avec le Chrysalis Tarot !
À qui ce jeu s’adresse-t-il ?
Le Chrysalis Tarot s’adresse en priorité aux amateurs de tarots, mais peut également être approché par les néophytes selon le type d’utilisation qui les intéresse. Néanmoins, je pense que l’approche en sera grandement facilitée à une personne qui connaît déjà la structure et la symbolique – notamment les archétypes – du tarot en général et des traditions Waite et Marseille en particulier, dont s’inspire ce jeu de manière poétique. Ainsi, il sera par exemple plus aisé de comprendre les connexions entre les suites des mineures que l’on trouve dans le Rider-Waite Smith tarot et les correspondances établies par Toney Brooks et Holly Sierra. Il en va de même pour les archétypes présentés sur les lames majeures, car les raisons qui ont motivé les choix des auteurs ne sont pas toujours évidentes pour qui ne connaît ni les personnages et allégories présentés ni les notions véhiculées par les lames des tarots qui sont à la base des systèmes évoqués ci-dessus.
Par ailleurs, le Chrysalis Tarot ravira ceux qui recherchent un jeu favorisant les explorations intérieures et spirituelles. Bien sûr, ce type d’analyse est largement possible avec n’importe quel autre tarot, mais l’atmosphère rendue par ce jeu facilite grandement l’accès à ces plans, tant par sa douceur que par sa dominance onirique qui permet à l’esprit de vagabonder et de se détacher du plan matériel.
Les amateurs de mythologies seront eux aussi comblés par ce jeu. Comme on l’a vu, les multiples traditions mythologiques et culturelles présentes dans ce tarot permettent des explorations poussées d’univers parfois moins connus que ceux que l’on a l’habitude de voir dans un jeu divinatoire. Qui prendra le temps de se pencher sur ces aspects verra sa compréhension des lames gagner en profondeur et n’assimilera que mieux les correspondances entre les cartes du Chrysalis Tarot et celles de jeux plus traditionnels.
Enfin, est-il encore besoin de préciser que ce magnifique jeu fera le bonheur des collectionneurs ? Au-delà de ses qualités sur le plan divinatoire, il reste une splendide œuvre d’art qui peut tout à fait se suffire à elle-même aux yeux des amateurs.
Que l’on désire explorer les mystères que le Chrysalis Tarot peut nous révéler ou simplement contempler une œuvre d’art et en déchiffrer les codes, on ne manquera pas d’apprécier ce jeu !
Où peut-on se le procurer ?
Principalement sur les sites anglophones de vente en ligne ou sur la boutique en ligne de Holly Sierra. Il est important de noter que ce jeu n’étant pas traduit en français, la seule version disponible est en anglais.
Pour aller plus loin
Envie d’en savoir davantage sur le Chrysalis Tarot ? Vous pouvez consulter le très joli blog mis en place par les auteurs du jeu ! Un nouvel article est publié chaque semaine (en anglais), ce qui vous aidera à décrypter les notions mises en valeur dans le jeu et vous donnera accès à toutes ses richesses !
Pour un aperçu complet du jeu, je vous invite à visiter le site de la talentueuse Holly Sierra.
Référence exacte
BROOKS Toney (text), SIERRA Holly (ill.). Chrysalis Tarot. Stamford, CT: U.S. Games Systems, Inc.: 2014 [ISBN: 978-1-57281-689-3].
Remerciements
Les images publiées dans cet article sont la propriété de Holly Sierra et apparaissent ici avec son aimable permission. Qu’elle en soit vivement remerciée !
*All images from the Chrysalis Tarot are Holly Sierra’s property. They appear in this review with her kind permission.* Thanks a lot for allowing me to use them, Holly!
(© Morrigann Moonshadow, le 10 août 2014. Reproduction partielle ou totale strictement interdite.)
Ah… Que dire si ce n’est que ce tarot est une pure merveille… Déjà graphiquement, j’adore. Les couleurs, le trait de crayon, mais aussi et surtout la multitude de détails présente dans chaque carte…
Au début, j’ai été un peu déroutée par l’emploi des spirales et des parchemins, puis après on s’habitue et du coup, le jeu prend un tout autre sens: je m’aperçois que lorsque je fais un tirage avec ce jeu, du fait de ces éléments, je ne vais pas forcément interpréter une carte de la même façon que si elle était sortie dans un autre jeu. De même, l’utilisation des personnes mythologiques, etc, en figures, me donne aussi une vision différente de chaque carte.
Je suis encore en phase “d’apprivoisement” de ce jeu (et inversement), mais qu’est ce qu’il me plait! Quand au dos des cartes je n’en parle même pas. Moi qui ne suis pourtant pas d’habitude une fan de papillons, je suis tout simplement époustouflée par la beauté de ce dessin!
Bref, un achat que je suis très loin de regretter!!!
Un très joli jeu, en effet, et je ne suis pas étonnée qu’il te plaise, vu ton sens de l’esthétique!
Comme tu le soulignes, les tirages que l’on fait avec sont très “spéciaux”, au sens où l’atmosphère créée par le jeu est très particulière, même intimiste. En le sortant, on sait que l’on va toucher à quelque chose de profond en nous. C’est une belle expérience!
Je suis sûre que plus tu le connaîtras, et plus tu iras loin dans tes explorations! En consultation, j’ai constaté qu’il convient très bien à tous les contextes et à tous les types d’interrogations. Et quelle que soit la question, les éléments obtenus sont toujours très à propos!
Une vraie petite merveille!
Bonjour Morrigan,
Et bien voilà, le Chrysalis est entre mes mains, quelles belles cartes, je ne me lasse pas de les regarder !!
Mon soucis est sur la langue anglaise du livret, les restes de mon anglais scolaire, ne me facilitent pas la tache. Mais avec mon dico, j’essaie de retranscrire au mieux les valeurs et qualité de chaque cartes. ouch
Sur un livre du le tarot de Marseilles j’ai bien évidemment trouvé les symboliques des arcanes mineures, mais je pense que celà ne va pas, avec ces cartes là. Que je ne dois pas continuer sur ce chemin.
Louvemer parle “d’apprivoisement”, le mot est parfait, me reste à retourner à mes études !!!
Bonne journée
Bonjour Ghislaine,
Un grand merci pour votre passage par ici et pour votre contribution!
Félicitations pour votre nouvelle acquisition! Le “Chrysalis Tarot” est un jeu fascinant et envoûtant qui vous réserve bien des surprises!
Je suis sûre que vous allez faire un très bon travail avec votre dictionnaire! N’est-ce pas là un excellent prétexte pour se remettre un peu à l’anglais? 😉 Pour ce qui est du tarot de Marseille, effectivement, il n’a rien à voir avec le “Chrysalis tarot” qui, comme je l’explique dans cette critique, est plutôt un tarot mixte qui développe également son propre système. Il faut donc le découvrir pas à pas, tranquillement. Vous pouvez par exemple chaque jour mélanger votre jeu, faire une coupe et tirer une carte. L’ensemble (coupe + carte) vous donnera une tendance générale pour la journée, que vous pourrez vérifier chaque soir à l’aide du petit livret. Vous apprendrez ainsi progressivement les significations des cartes.
Je vous souhaite de belles découvertes en compagnie de ce magnifique jeu!
Très belle journée à vous,
À très bientôt,
Morrigann
Ce jeu est superbe, même si je ne suis pas familière des différentes mythologies qui y sont représentées !
Vos explications (ça fait des années que je connais votre site) sont toujours pertinentes, riches et bien écrites (et il y a pléthore de sites sur les tarots), et votre passion est communicative !
Je n’habite pas à Paris, c’est donc difficile de participer à l’un de vos ateliers, mais je vous souhaite – à distance – une très belle continuation dans votre voie.
Bonsoir Catherine;
Un tout grand merci pour votre message qui me va droit au cœur! Je suis heureuse que vous appréciiez les contenus que vous trouvez ici, et j’espère avoir à nouveau le plaisir d’échanger avec vous autour d’autres articles 🙂
Le Chrysalis Tarot est effectivement magnifique, et si vous ne le possédez pas encore, je vous encourage vivement à vous le procurer. Vous pourrez ainsi vous familiariser avec les différentes mythologies et cultures qui y sont représentées et, si vous aimez ce genre de choses, vous aurez là un bon point de départ pour aller explorer tout cela plus en profondeur.
Un tout grand merci pour vos encouragements! Peut-être aurons-nous un jour l’occasion de nous rencontrer à Paris si vous êtes de passage! 😉
Très belle soirée à vous,
Morrigann
Merci de votre réponse Morrigann !
Le problème, c’est que l’expérience m’a apprise que lorsque les cartes sont trop belles, je n’arrive pas à me concentrer sur le tirage !
En tous cas, cela m’a donné envie de sortir mon Rider Waite du tiroir…
Très bonne journée à vous,
Bonjour Catherine;
En cartomancie, il faut parvenir à détacher l’esthétique et le langage symbolique, et cela n’est pas toujours facile. Si l’on veut lire avec un beau jeu, il faut dans un premier temps mettre de côté l’aspect esthétique pour se concentrer sur ce qui fait le cœur du jeu (le langage symbolique et les références aux mythes s’il y en a) afin de comprendre ce qui en fait un solide outil pour la pratique. Une fois que l’on comprend bien les fonctionnements du jeu, alors on peut en considérer à nouveau l’aspect esthétique, qui en rendra la lecture encore plus agréable et confortable. Ce travail en vaut la peine, car il ne rend l’utilisation que plus enrichissante!
Pour vous accompagner dans votre redécouverte du Rider-Waite Smith Tarot, je vous suggère un peu de lecture 😉
En vous souhaitant de belles explorations ainsi qu’une belle journée,
Morrigann